THEATRE DU PUZZLE

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Laurent Femenias - 2014 - Le Gouvernement français et la stabilité budgétaire

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Paris - Palais de l'Elysée

 

À la suite du Conseil des ministres du mercredi 23 avril 2014, Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics et Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget, ont présenté les grandes orientations du Programme de stabilité de la France pour la période 2014-2017. Ce programme a pour objectifs de ramener le déficit public français à 3 % du PIB en 2015 (contre 4,3 % en 2013) et d’atteindre 1,3 % en 2017. C’est dans ce cadre que doivent être réalisées les désormais fameuses économies de 50 milliards d’euros sur la période 2015-2017. On nous explique notamment que la France a l’obligation de tenir ses engagements et de respecter les traités européens qu’elle a ratifiés, lesquels imposent une gestion plus rigoureuse des finances publiques. Dans un sens, cela est tout à fait exact, mais il ne faut pas oublier de dire que nous nous sommes en fait noués nous mêmes les mains dans le dos...

 


Faisons tout d’abord un bref rappel historique. L’idée de surveiller les soldes budgétaires des pays de la future zone euro fut proposée en 1995 par le ministre allemand des finances Théo Waigel. À l’origine se trouvaient les critères de convergence énoncés dans le traité de Maastricht de 1991, parmi lesquels notamment les critères de déficit des administrations publiques et d’endettement public qui ne devaient pas dépasser respectivement 3 % et 60 % du PIB. Reprenant ces principes, et afin de s’assurer du maintien de la discipline budgétaire après la naissance de l’euro, le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC, le dernier terme ayant été ajouté à l'époque, comme en 2012, à la demande de la France) a été adopté et annexé au traité d’Amsterdam de juin 1997. Certes, il est important de veiller à une bonne utilisation des fonds publics qui ne doit pas être excessive. Mais comment fixer la limite entre ce qui peut être considéré comme néfaste pour l’économie et ce qui ne représente aucun danger ? Les seuils du PSC n'avaient dès le départ aucune justification macroéconomique sérieuse (voir l’annexe à la fin de ce document). Par ailleurs, ils ont été plusieurs fois dépassés, et ce bien avant la crise, par des pays comme l'Allemagne (qui fait aujourd’hui figure de bon élève, mais cela n’a pas toujours été le cas) sans qu'aucune sanction ne soit prise, bien que cela soit prévu par les textes. Or si l’Allemagne a ces dernières années fourni des efforts importants et est parvenue à sortir de la procédure de déficit excessif (PDE) lancée à son encontre par la Commission, ce n’est pas le cas de la France qui fait l’objet d’une telle procédure depuis 2009. En cinq ans, elle a déjà pu bénéficier de deux reports qui l’engagent à ramener son déficit à 3 % du PIB d’ici 2015. En obtenir un troisième serait une extrémité à laquelle ne veulent pas se risquer les responsables de l’exécutif français. C’est donc cet objectif de 3 % en 2015 que veulent absolument tenir aujourd’hui François Hollande et Manuel Valls à travers leur Programme de stabilité (qui est d’ailleurs une exigence de la Commission européenne). Mais l’objectif du Gouvernement français va plus loin que ces fameux 3 % puisqu’il vise tout bonnement la stabilité budgétaire (au moins au niveau structurel) d’ici la fin du quinquennat de François Hollande.

 

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Zone euro au 1er janvier 2014


Voyons ici pourquoi, en replongeant à nouveau quelques années en arrière. Devant les difficultés déjà signalées à faire respecter le PSC, les pays membres de la zone euro ont récemment fait le choix de se doter de nouveaux outils : le « 6-pack », et surtout le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), également surnommé « Pacte budgétaire », qui radicalisent le dispositif. L’objectif ultime fixé n’est plus de 3 % mais tout bonnement l’équilibre ou même l’excédent budgétaire (article 3). On tolère désormais un déficit maximum de 0,5 % du PIB. Certes, le seuil choisi est désormais « structurel », ce qui laisse entendre que la conjoncture peut permettre un léger dépassement, mais en ramenant le chiffre aussi bas, cela revient à lier les mains des gouvernements qui se verront contraints encore davantage de mener des politiques procycliques en annihilant quasiment toute possibilité de relance en cas de croissance faible ou de récession. Un pays s'éloignant de ce seuil de 0,5 % devra soumettre à la Commission et au Conseil un programme de réforme structurelle permettant de corriger ce déséquilibre. De même, un État dont le ratio dette / PIB passera au-delà des limites autorisées devra sous peine de sanctions réduire ce ratio d'au moins un vingtième de l'écart avec 60 % chaque année.


C’est dans ce contexte que le TSCG a été signé le 2 mars 2012 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui a soutenu avec force la position de la chancelière Angela Merkel, et est entré en vigueur au 1er janvier 2013. Il a été ratifié par la France le 22 octobre 2012 sous la présidence de François Hollande. Ce dernier s’était pourtant, durant la campagne présidentielle, solennellement engagé à renégocier ce traité en cas de victoire. Cela n’a pas été fait. Voilà pour les engagements européens de la France.


Aujourd'hui, les politiques de rigueur menées dans l’ensemble de l’Union européenne ont commencé à porter leurs fruits par rapport aux objectifs envisagés. Ainsi, seuls dix pays sur les vingt-huit que compte l'UE – dont évidemment la France – sont encore au-dessus du fameux seuil des 3 %. L’Allemagne et le Luxembourg demeurent toutefois les seuls pays de la zone euro en situation d’excédent budgétaire. Certains économistes ont cependant signalé que ces évolutions récentes, nées d'une volonté de sortir plus rapidement la zone euro de la crise, risquent au contraire d'aggraver les choses et d'entraîner l'Europe dans la récession, ou tout du moins une croissance condamnée à rester « molle ». Plutôt que de soigner les vrais maux (excès de la spéculation, notamment contre les dettes souveraines, marchés financiers incontrôlables et incontrôlés qui dictent plus ou moins directement les politiques économiques aux États et à la BCE, insuffisance de la production, de l'emploi, problèmes de demande effective), on nous explique que c'est la mauvaise gestion, trop laxiste, des États qui a entraîné une explosion des dettes souveraines et des déficits budgétaires partout en Europe. Ce serait là le principal problème.


Or, la manière choisie pour « coordonner » les politiques budgétaires (par le PSC, puis le TSCG) est en fait la seule à avoir été trouvée en l'absence d'un véritable budget européen ou d'une quelconque harmonisation des politiques fiscales. Cela a pour contrepartie dans le « policy mix » européen une politique monétaire unique, menée par la BCE indépendante. Son objectif principal, tout aussi contestable que la règle de stabilité budgétaire, est la lutte contre l'inflation à tout prix, même si cela doit se faire au détriment d'autres objectifs comme l'emploi, la croissance ou la recherche d'une meilleure convergence. Cet objectif est directement inspiré des thèses monétaristes. Bien sûr, le choix de contraindre les politiques budgétaires vise également à augmenter la crédibilité de la BCE en lui supprimant l’obligation de tenir compte des choix des gouvernements pour mener à bien sa politique indépendante. La critique de cet objectif traditionnel de la BCE fait partie des apports importants des post-keynésiens depuis la mise en place de l'Union Économique et Monétaire (UEM). Toutefois, la BCE pratiquant depuis 2008 des taux directeurs particulièrement bas, l'austérité généralisée demeure pour l'heure le principal danger rencontré au sein de la zone euro, cette dernière risquant de peiner à développer durablement consommation et investissement, et bien sûr un fort niveau d'emploi et de croissance dans les années à venir.

 

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BCE (Banque Centrale Européenne) à Francfort (Allemagne)


La mise en place du TSCG est, nous l'avons vu, un approfondissement du PSC et de la philosophie qui lui est liée à savoir, comme l'indique le traité de Lisbonne, la mise en place en Europe d'une « économie sociale de marché hautement compétitive ». Ce concept est directement issu des théories de l'ordo-libéralisme, courant de pensée extrêmement influent outre-Rhin, né dans l’Allemagne des années 1930. Parmi les principaux contributeurs de l’Ordnungstheorie, ou théorie de l’ordre, on peut citer Walter Eucken et l’école de Fribourg. L’ordo-libéralisme découle de cette théorie en donnant notamment pouvoir à l'État d’organiser la concurrence via des mesures en accord avec les lois du marché. En effet, l’ordre économique d’échange ne saurait, d’après les défenseurs de cette théorie, se constituer spontanément et doit donc être institué et protégé par l'État de droit. Les prolongements de cette vision particulière du libéralisme aboutiront à l’« économie sociale de marché », typique de la pensée économique allemande de l’après guerre. Selon l’ordo-libéralisme, il faut à tout prix protéger la liberté individuelle contre tout pouvoir arbitraire, qu’il soit étatique ou privé. Dans cette conception, la monnaie est conçue explicitement comme la norme fondamentale qui permet aux prix d’être de « justes prix » exprimant la volonté générale. L’inflation résulte d’un écart par rapport à la norme, écart pouvant provenir de l’influence de groupes de pression divers. L’indépendance de la banque centrale est alors vue comme une valeur (au niveau politique) pour les Allemands, ceux-ci craignant fortement qu’une inflation non maîtrisée soit source d’un désordre social important. La responsabilité de la banque centrale devant le Parlement est superflue du fait du caractère éthique qui sous-tend les décisions qu’elle prend. Ainsi, l'ordo-libéralisme et la crainte allemande viscérale de l'inflation sont une explication tout aussi déterminante que le monétarisme pour expliquer la primauté absolue accordée à la volonté de maintenir la stabilité monétaire. L'ordo-libéralisme a été une influence majeure lors de la création du Système Européen de Banques Centrales (SEBC). Ses statuts sont d'ailleurs si fortement inspirés de ceux de la Bundesbank que certains passages sont copiés quasiment mot pour mot. De même, une forme de constitution économique faite de règles automatiques est à préférer à une politique budgétaire traditionnelle.

 


Pour résumer, l'ordo-libéralisme a inspiré d'un côté une forme de fédéralisme monétaire avec un SEBC fait de Banques centrales nationales indépendantes avec à leur tête une BCE également indépendante et dont la mission principale est de maintenir la stabilité des prix. De l'autre côté, avec le TSCG, on se dirige vers une forme de « fédéralisme budgétaire coercitif » qui substitue aux pouvoirs budgétaires des parlements nationaux élus démocratiquement des règles fixes dont la Commission européenne et la Cour de justice européenne sont les garantes. L'économie ne peut prospérer que si l'on substitue aux politiques budgétaire et monétaire un cadre assurant à la fois la stabilité budgétaire et la stabilité monétaire, hors d'atteinte de l'action politique jugée néfaste des gouvernements ou des parlements élus. Le TSCG est couramment surnommé « Pacte budgétaire », mais il n'est pas neutre que, dans son appellation officielle, le mot « stabilité » soit le premier utilisé. Or, si l'ordo-libéralisme peut justifier ce double déficit démocratique dans le cadre allemand, cela n'est pas du tout le cas au niveau européen, ce qui explique grandement le manque de confiance dont souffre l'euro et le sentiment de rejet qu'une partie croissante de la population ressent à son égard, rendant la monnaie unique responsable d'un sentiment de perte de pouvoir d'achat et d'asservissement aux marchés financiers.

 


Alors que la crise aurait pu être l'occasion d'approfondir l'union politique de l'Europe, ce sont surtout les divergences qui ont été soulignées. Lorsqu'une solution européenne a enfin été apportée, cela a été sous la forme d'un nouveau traité, le TSCG, qui ne semble pas pourvoir apporter de réponse durable aux problèmes rencontrés. Il n'apporte qu'une avancée dans une forme de fédéralisme, d'abord monétaire, aujourd'hui budgétaire, inspirée de l'ordo-libéralisme allemand mais qui ne correspond certainement pas aux attentes générales des citoyens européens.

 

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L'Europe des citoyens


En guise de conclusion, et pour revenir au Programme de stabilité français, il semble dommage que le Gouvernement, coincé par son adoption du TSCG qui fait surtout les affaires de l’Allemagne, s’obstine dans une politique néolibérale dont les objectifs entraîneront à la fois une casse sociale importante et risquent de ne pas avoir les effets escomptés sur l’économie et sur la croissance française... si tant est d’ailleurs qu’ils soient tenables, ce qui semble susciter les plus grands doutes chez de nombreux observateurs. En ce sens, la politique économique menée par le PS se situe dans l’exacte lignée de celle menée avant 2012 par l’UMP...


On nous objectera que la France ne peut pas infléchir seule une position devenue majoritaire en Europe. Cela est parfaitement juste. Un changement de politique doit nécessairement passer par une concertation avec nos voisins et partenaires européens. Qu’il nous soit simplement permis ici de mettre en avant quelques alternatives à la voie du TSCG que l’on nous présente aujourd’hui comme la seule et unique possible. Parmi ces alternatives, on trouve notamment celle d'un vrai fédéralisme budgétaire européen qui ne pourrait aller de pair qu'avec un accroissement majeur du budget européen et des transferts de souveraineté. Cela ne semble malheureusement pas à l'ordre du jour dans l'Europe actuelle. C'est pourquoi des mesures comme le « Pacte de croissance » dont la France se targue d'avoir négocié l'adoption ne peuvent aboutir qu'à des résultats des plus limités, faute de financements disponibles. De même, l'émission d'Euro-obligations non adossées à un budget européen est très certainement utopique même si cela part d’une bonne idée. La voie d'un autre fédéralisme monétaire est cependant envisagée par certains auteurs qui, à l'instar de Bruno Théret, proposent d'allier l'émission de monnaies locales (régionales ou nationales) en parallèle à une monnaie commune de type fédérale plutôt qu'une monnaie unique comme c'est le cas actuellement.

 

 

 Laurent Femenias - 25 avril 2014

 

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Les « oracles » de la finance ont-ils vraiment raison ? - Laurent Femenias



27/04/2014
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