THEATRE DU PUZZLE

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Gustave Flaubert, aventurier à Pont-l'Abbé / Gérard Lefort / Libé Voyages

 
Aventurier à Pont-l'Abbé

 

«Vingt-cinq ans, de bonnes jambes, une santé solide, de l'argent en poche, l'envie de voir, nul besoin vaniteux, l'enivrement du mouvement, de la jeunesse et de la nature, c'est plus qu'il n'en faut pour jouir de la vie, et nous ne nous en faisions faute Qui parle ? Le préfacier d'un guide de rando ? En quelque sorte. Sauf que la virée a lieu à l'été 1847 et que les conseils concernant la meilleure façon de marcher sont rédigés par Maxime Du Camp, alors ami principal de Gustave Flaubert. Le voyage en Bretagne a été décidé pour «distraire» Flaubert de quelques deuils successifs (son père, sa soeur) et expérimenter, dixit Du Camp, «la vie sauvage».

 


Sopalin

Les deux jeunes hommes ayant des velléités d'écriture, le périple sera l'occasion d'un journal à quatre mains. Du Camp écrit les chapitres pairs et Flaubert, les impairs. Le résultat sera publié sous le titre Par les champs et par les grèves. (1)
Début juin 1847, Gustave et Maxime sont dans le Finistère. Après Quimper, ils longent par la rive gauche l'Odet, jusqu'à la mer. Cul-de-sac. Ils sont du mauvais côté pour atteindre le pays bigouden qu'à l'époque ni eux ni personne n'appellent ainsi. Ils franchissent l'Odet, presque un fleuve à l'instant où elle se jette dans l'Atlantique par un bac menant rive droite à Sainte-Marine. Le bac existait encore au début des années 1970, avant qu'un pont routier ne soit construit en amont. Que cherchent-ils ? Pont-l'Abbé. Mais ils commencent par s'égarer du côté de Combrit dont ils ne disent pas si le clocher était déjà de traviole. Un cantonnier les remet dans la bonne direction. Aujourd'hui, «le chemin poussiéreux» est une route goudronnée où la direction est facile à suivre : Pont-l'Abbé, c'est par ici. Flaubert et Du Camp notent que la plupart des autochtones sont incompréhensibles puisqu'ils parlent un dialecte breton.

 


Nos amis seraient sans doute tout aussi déroutés de découvrir aujourd'hui que sur les panneaux indicateurs les noms sont systématiquement sous-titrés en breton, ou tout du moins dans ce breton dit unifié que pratiquement personne ne parle, et a fortiori ne comprend. A «Pont-n'-Abad» donc, ils seraient encore plus sidérés de découvrir le nouveau logo de la ville, une Bigoudène la coiffe au vent. Car au milieu du XIXe siècle, la fameuse coiffe cylindrique, comparable, de loin, à un rouleau de Sopalin, n'existe pas. Flaubert décrit ainsi la coiffure des femmes de Pont-l'Abbé : «Des oreillères brodées leur passent sur la tête laissant le derrière des cheveux à découvert ; le chignon relevé est contenu par le bout par un bandeau rouge, sur lequel elles mettent quelques fois un tout petit bonnet ou calotte blanche.»

 

 

La coiffe contemporaine (50 centimètres de dentelle amidonnée), est en effet d'invention récente, ce qu'atteste, au Musée bigouden, l'exposition «Il était une coiffe» qui retrace l'évolution «de ce symbole fortement identitaire». Même si le touriste adore cette survivance censément «authentique», il réalise vite qu'elle sert surtout de marque pour lui vendre à peu près n'importe quoi, de la carte postale au tee-shirt made in Breizh. Quant à l'authenticité. Il n'y a plus qu'une poignée de mamies pour perpétuer, surtout à la messe, cette tradition pittoresque et, plus inattendue, militante.

 



Fierté bretonne

A Pont-l'Abbé, «le combat pour la culture et l'identité bigoudène» est en effet au programme de la nouvelle mairie (de gauche), même si elle précise sur le site Internet de la ville que «ce renforcement de l'identité bigoudène ne doit pas nous faire sombrer dans le communautarisme. Rappelons-nous que pour qu'une culture vive, il faut qu'elle soit ouverte aux autres cultures.» Mais sans aller quand même jusqu'à rappeler que le drapeau Gwenn ha Du (blanc et noir) qui flotte un peu partout comme symbole de la fierté bretonne fut inventé dans les années 1920 par Maurice (dit Morvan) Maréchal qui, le 9 février 1945, fut condamné à quinze ans de dégradation nationale pour activités collaborationnistes. Nemeton.

 


Au chapitre patrimonial, il n'est pas certain que l'office de tourisme ferait graver à son fronton la vision flaubertienne de la ville : «Pont-l'Abbé est une petite ville fort paisible, coupée dans sa longueur par une large rue pavée. Les maigres rentiers qui l'habitent ne doivent pas avoir l'air plus nul, plus modeste et plus bête. Il y a à voir, pour ceux qui partout veulent voir quelque chose, les restes insignifiants du château et l'église ; une église qui seraitpassable d'ailleurs, si elle n'était pas encroûtée par le plusépais des badigeons qu'aient jamais rêvés les conseils de fabrique Et Gustave Flaubert d'enchaîner sur une analyse de la dévotion locale quand il découvre le fleurissement de la chapelle de la Vierge. Comme il ne précise pas de quelle église il s'agit, on en déduit qu'il a visité la massive Notre-Dame des Carmes où, dans une alcôve, au pied d'une statue de la Vierge, des glaïeuls étalent leurs couleurs sur l'autel.

 

Notre Dame des Carmes à Pont-l'Abbé

 

 

Pas trace en revanche de cette masure des faubourgs de la ville où Gustave et Maxime, de retour d'une fête où «deux joueurs de biniou, montés sur le mur de la cour, poussaient sans discontinuer le souffle criard de leur instrument», tombent sur une baston entre deux femmes. Un examen approfondi des pages locales du quotidien Ouest-France n'a pas permis d'y dénicher le moindre fait divers qui ressemblât à cette castagne au râteau, aussi épique que sanglante.
Quant au château «aux restes insignifiants», Flaubert exagère, ou alors des restaurations ont été entreprises. Tout en donjon, le bâtiment, qui abrite la mairie et le musée, en impose. Comme il y a «pont» dans Pont-l'Abbé, on n'y coupe pas. Il est surmonté de bâtisses qui abritèrent un moulin à marée, ultérieurement transformé en un supermarché, aujourd'hui fermé.

 

Menhir de Peng Laouic en bordure de rivière à Pont-L'Abbé 


De là, il faut faire ce que Flaubert et Du Camp n'ont pas fait : emprunter sur la rive droite un chemin qui mène à l'embouchure paresseuse de la rivière de Pont-l'Abbé. Au pied d'une digue à demi ruinée, face à la mer qui grimpe dans les parterres de salicornes, c'est un havre idoine pour goûter les lignes écrites par Gustave Flaubert à la fin de son séjour : «Nous ne sommes que des contemplateurs humoristiques et des rêveurs littéraires.»

 

(1) Réédité aux éditions Complexe.

 

Manuscrit "Madame Bovary"

 

Autre manuscrit de Gustave Flaubert



30/10/2011
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