THEATRE DU PUZZLE

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La Bibliothèque Humaine, une expérience hors du commun

Bibliothèque Humaine

Une expérience humaine hors du commun

 

 

 

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Il est environ 23 heures à Offlanges, petit village du Jura où vient d’avoir lieu la restitution de l’édition 2024 de la Bibliothèque Humaine. Livres humains, hôtes d’un soir, spectateurs, organisateurs (Compagnie La Carotte, Association le Colombier des Arts, Foyer Rural d’Offlanges) se sont retrouvés dans la petite salle communale du village autour d’une bonne soupe chaude. Les sourires émergent des visages. Il y a tant de choses à dire, tant de choses aussi que les mots ne peuvent pas dire, à peine effleurer. Une sensation que tout cela a passé trop vite, qu’il aurait fallu ralentir le temps pour en savourer toutes les secondes, pour en saisir le subtil parfum, unique pour ce moment unique, pour ce groupe unique qui vient de clore ce soir-là son aventure collective, celle qu’il n’aurait jamais soupçonnée, peut-être même pas rêvée si tant est qu’il l’ait même imaginée.

 

 

Mais revenons quelques mois plus tôt, quand tout cela n’était encore que prémices, qu’une première découverte d’une dizaine d’individus qui, pour la plupart, ne se connaissaient pas. Offlanges n’offrait alors au visiteur de passage que sa longue rue traversante d’une colline émergeant entre le Massif de la Serre et le Mont Guérin, entre la plaine de la Saône côte-d’orienne et les hauteurs jurassiennes. Certains hôtes de cette soirée du 16 mars 2024 ne savaient d'ailleurs pas encore qu’ils seraient hôtes…

 

 

En ce début d’aventure, le petit groupe d’inscrits se retrouve dans les locaux de la compagnie La Carotte à Orchamps, démarrage d’un processus dense dans lequel la petite histoire de chacun fait écho à une autre, aussi aux marqueurs de la grande histoire de l’humanité. Delphine (ensuite accompagnée de Caroline et Chloé pour les enregistrements vocaux) mène cette petite communauté naissante vers des endroits inattendus. Beaucoup ne savent pas encore ce qu’ils restitueront, certains ont déjà une idée en tête avec plus ou moins de certitude, sachant qu’ici la certitude n’existe pas. Ce n’est qu’une valeur qui tire en avant, qui entraîne, dans le partage, hors de sa zone de confort. C’est le but de la bibliothèque humaine justement, autant pour le livre humain que pour les futurs lecteurs du grand soir de la restitution.

 

 

Née au Danemark, cette idée de bibliothèque humaine part du principe que chaque personne est un livre avec des savoirs, des expériences de vie qui font d’elle quelqu’un d’unique à l’identité multiple et complexe, qu’on ne peut appréhender qu’en rentrant dans une partie de son histoire, celle-là même que le livre racontera à un lecteur-auditeur qui tournera les pages en écoutant le récit. L’idée de base est de lutter contre les discriminations qui réduisent les individus à une image sociale très incomplète, souvent trompeuse, source d’incompréhension, de rejet ou d’exclusion. La « lecture » de ce livre humain, comme un livre papier, vient toucher quelque chose de sa propre histoire. C’est une rencontre sensitive, émotionnelle, qui redonne l’humanité nécessaire à chaque lien, sans calcul, sans intérêt matériel, juste quelqu’un de cette planète dont la voix, le regard, la présence rencontre un autre regard, une autre présence qui écoute et qui vibre.

 

 

Le processus de préparation des livres humains tient compte de tout cela dans la bienveillance, l’avancée individuelle et collective où chacun est considéré, où qui qu’il soit peut décider d’arrêter ou de continuer sans être contraint. Dés le départ, il est précisé qu’il ne s’agit pas d’une thérapie. C’est une rencontre de vies différentes mais qui pourtant se ressemblent parce qu’elles sont tout simplement humaines avec des amertumes et des douleurs, des questions et des doutes, avec des espoirs et des bonheurs parfois immenses.

 

 

Les séances de préparation amènent peu à peu au récit qui sera présenté. Celui-ci est confronté à l’écoute des autres membres du groupe qui font émerger les points forts, les lignes touchantes. Ainsi naît une formalisation plus ou moins précise d’une histoire qui sera racontée. Le groupe se solidarise autour des peurs de chacun, des questions, du plaisir et des envies. Les repas partagés où chaque membre apporte quelques belles surprises  renforcent les liens. En peu de temps, de parfaits inconnus deviennent des personnes qui sont entrées dans une histoire très personnelle, dans une sorte d’intimité où les autres savent quelque chose d’un peu secret de soi. Pas de jugement, pas d’artifice, juste soi considéré dans son entièreté par les autres. Une histoire qu’on pourrait considérer comme banale devient un récit puissant à vocation d’être partagé. Au-delà du récit même, le processus tend à donner de la valeur à des vies personnelles parfois sous-considérées, sous-valorisées.

 

C’est pour cela que la Bibliothèque Humaine agit en profondeur par le regard inattendu qu’un futur livre-humain peut porter sur lui-même et donc qu’il peut renvoyer vers un lecteur-auditeur. C’est comme une révélation de quelque chose d’indéfinissable. Il y avait un avant. Il y a maintenant un après. Quelque chose a changé, sans trop vraiment savoir quoi, mais l’évidence est là avant même la restitution.

 

Il reste une séance de travail. Beaucoup l‘attendent avec impatience, pour retrouver les « compagnons de route », retrouver l’univers de ces histoires pas comme les autres et pourtant si semblables à toutes celles qui font la vie. Mais ici, ces récits sont mis en lumière. Ils retrouvent un éclat oublié ou peut-être qui n’avait jamais existé. Ils prennent une nouvelle place dans la vie de chacun comme un élan vers demain. L’extraordinaire se trouve aussi dans le banal, dans ce qui restait caché parce la personne ne savait quoi en faire, parce qu’elle ne soupçonnait même pas que cela ait pu avoir un quelconque intérêt. L’accompagnement de Delphine, Caroline et Chloé est ici très important pour faire émerger, plus que l’histoire, la confiance que chacun peut se donner, qu’il peut donner aux autres.

 

 

 

 

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Voilà ! Le cycle de préparation se termine. Chacun posera une dernière fois sa voix dans un micro pour l’enregistrement du Podcast de Radio Campus Besançon.

 

Il reste le point d’orgue, l’immense cerise sur le gâteau. La restitution publique. Ça aura lieu à Offlanges un soir de ce mois de mars 2024. Une dizaine de livres humains, chacun accueilli par un hôte du village dans sa maison ouverte pour un soir, pour recevoir, l'espace deux heures,  de petits groupes de lecteurs-auditeurs. Quatre ou cinq petits noyaux de six à huit personnes passant d’abord par la case de l’accueil central où leur est donné la fiche du livre à écouter et le plan pour s’y rendre.

 

C’est une promenade nocturne dans les petites rues éclairées. Au loin vers l’ouest, on aperçoit les lumières de l’agglomération dijonnaise au pied du Mont-Afrique, au nord les clignotants rouges des éoliennes de Longeau-Percey dans le sud haut-marnais. Et puis, dans chacune des maisons, les voix de livres qui disent et redisent avec des mots parfois différents cette histoire d’humain destinée à d’autres humains. C’est puissant, c’est proche, c’est intime, c’est réjouissant, c’est fascinant. Deux heures durant, dans la fraîcheur douce de ce début de nuit, des groupes arpentent la chaussée, des ombres qui viennent frapper aux portes comme des enfants qui disent « Encore une histoire s’il te plait ! ». Oui, c’est presque enfantin, des retrouvailles de gens qui ne se connaissaient pas. Ce sont leurs histoires qui se connaissaient sans qu’ils l'aient su auparavant.

 

 

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Photo Jessica - Compagnie La Carotte

 

 

Vingt-deux heures. Les maisons se sont vidées. Les ombres ont disparu des ruelles. Des dizaines de personnes sont rassemblées dans la salle communale. Là, les langues se délient. Les gens racontent, échangent,  sourient, rient parfois, s’émeuvent encore. On boit, on mange. Des mots viennent se poser sur l’indicible. Et ce qui n’a pas de mots pour être dit se raconte dans les regards, dans les mains qui se posent sur une épaule, dans un éclat de rire, dans une cigarette qui se partage dehors à l’entrée de la salle. Beaucoup restent là pour prolonger ces instants de grâce humaine d’une bibliothèque pas comme les autres, comme pour inscrire dans sa mémoire, dans son univers émotionnel, les dernières traces d’une étrange épopée.

 

 

Oui, la Bibliothèque Humaine, c’était tout cela. Et, contrairement à cette barbarie banalisée qui défraie notre quotidien, ici, à Offlanges, comme ce fut le cas à Orchamps, être humain avait tout son sens, dans la chaleur et la générosité des échanges.

 

 

« C’est la bonté qui me stupéfie dans cette vie, elle est tellement plus singulière que le mal »

Christian Bobin

 

 

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Un grand merci à Delphine Pratini (Le Colombier des Arts), Caroline Guidou (Compagnie La Carotte) et Chloé Truchon (Podcast Radio Campus) pour leur accompagnement, leur engagement, leur patience et leur bienveillance qui ont permis à des livres humains de se révéler. 

Un grand merci aussi aux bénévoles de la Carotte et au Foyer Rural d'Offlanges pour l'organisation impeccable de la soirée du 16 mars. 



17/03/2024
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