THEATRE DU PUZZLE

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La Bibliothèque Humaine 2025 - Offlanges (Jura)

Bibliothèque Humaine 2025 – Offlanges (Jura)

 

 

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Samedi 22 mars 2025 

 

 

Depuis le début d‘après-midi, les bénévoles de la compagnie théâtrale La Carotte et du Foyer Rural sont mobilisés pour l’installation des locaux municipaux qui accueilleront la huitième édition de la Bibliothèque Humaine à Offlanges (Jura). Tandis qu’un petit groupe est déjà en train de préparer la salle et sortir les courses pour  la soupe du soir, trois véhicules chargés à ras-bord pénètrent dans la cour. Et là, commence le grand déballage qui sera à la source de la transformation du local d’accueil du public. Une banale petite salle des fêtes de campagne devient en quelques heures un grand salon aux lumières tamisées  avec ses tapis persans, ses coins cosy, petits fauteuils, guéridons et tables basses. Ça donne presque envie de parler à voix basse comme dans ces bars lounge sur fond de musique orientale.

Sous le préau couvert, La caravane de la Carotte, toute pimpante dans sa couleur orangée, se retrouve encadrée par une grande guirlande aux ampoules colorées comme celle qui surplombe la porte d’entrée de la salle.

 

 

 

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Entre temps, les Livres Humains sont arrivés. De prime abord, ils ressemblent à des humains, de simples humains, des gens ordinaires.  Pourtant, aujourd’hui, ce sont des ouvrages en mots et en corps. Leur histoire est un livre vivant.  Entre émulation et trac, ils hument l’atmosphère de ce qui sera leur espace communal d’expression pour une soirée pas comme les autres. Un bon quart d’heure plus tard, ils se rassemblent dans une petite  salle à l’étage pour leur préparation collective sous la houlette de Delphine (Le Colombier des Arts) et Caroline (Compagnie la Carotte). Elles sont leurs accompagnantes, leurs « bibliothécaires », celles qui prennent soin des livres dont elles ont la charge. On sent poindre l’émotion d’un moment unique. C’est LE jour J. Il n’y aura pas d’autres occasions. Des instants éphémères, hors du temps mais qui restent tatoués dans la mémoire, qui font regarder la vie autrement, qui rendent éternelles deux heures d’un crépuscule singulier.

 

 

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Les "Livres Humains" et leurs ballons de baudruche à accrocher devant les maisons des hébergeurs

 

 

Tandis que les préparatifs de la salle d’accueil du public se poursuivent, les Livres Humains se rendent à présent dans les maisons d’hébergeurs d’un soir  où ils présenteront au public leur récit préparé pendant trois séances les mois précédents. Leur livre est une voix, un corps, un regard qui raconte une histoire à des lecteurs n’ayant pas besoin de tourner les pages. C’est automatique comme sur un livre virtuel. Pourtant celui-là ne l’est pas. C’est une vraie voix qui se propulse vers des vrais regards, un corps à corps par mots interposés. Une rencontre véridique entre une âme loquace posée face à une dizaine d’autres prêtes à tout accueillir. Des vies en vrai. Une histoire sonore qui se télescope avec celles qui restent tues. Elles se surprennent, se caressent puis finissent par s‘aimer.

 

 

Pour les spectateurs « lecteurs » qui regardent ces Livres Humains d’abord anonymes, ces derniers ne sont d’abord qu’une apparence, peut-être même un mystère. Ce sont des humains comme les autres parmi d’autres humains comme les autres. Peut-être y a-t-il en plus ce qui peut s’imaginer de ces drôles de bouquins de chair, vu par le prisme de son histoire personnelle ? Mais cela, ce n’est que de la projection. En fait, ce ne sont pour le moment que des femmes et des hommes qui font tous banalement partie de l’humanité ordinaire. Pourtant ce soir, ils ouvriront les portes de leur intime. Ceux et celles qui les auront vus, « lus », écoutés, ne les regarderont plus de la même façon. Sans doute même, cela réveillera en elles, en eux, des pensées étranges, comme un écho d’eux-mêmes dans la voix de l’autre, parce que l’autre, quelle qu’elle soit, quel qu’il soit, finalement possède quelque chose de soi…

Mais nous n’en sommes pas encore là. Il fait jour. Tout commence à la nuit tombante. Le public n’est pas encore là. Deux bonnes heures. Même dans l’éphémère, on a le temps.

 

Pour le moment, les yeux scrutent le ciel. Des orages sont annoncés pour le soir. Certains s’inquiètent d’une fête qui serait gâchée. Stéphanie, la responsable du Foyer Rural d’Offlanges, est optimiste. Elle dit avec malice avoir parlé aux éléments. Tout ira bien. Quelques gouttes seulement mais pas de quoi bouleverser les errances de « lecteurs » de maison en maison. Le plus incroyable, c’est qu’elle dit vrai. Même pas de véritable averse. Un temps quasi sec. Les nuages passent sans presque rien laisser tomber.

 

 

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Le village d'Offlanges vu de la route entre Frasne-les-Meulières et Montmirey-la-Ville

 

 

Ça y est ! C’est le moment pour les Livres Humains d’aller rejoindre chacun leur tanière. Un dernier cri d’encouragement collectif s’échappe de la fenêtre du premier étage. Elles sont prêtes. Ils sont prêts. Une dernière cigarette pour certains puis tout ce petit monde s’éparpille de ci de là dans le village. C’est à ce moment que les premiers spectateurs « lecteurs » commencent à pointer leur nez vers la salle. Il est autour de dix-neuf heures. La foule s’amoncelle peu à peu près des panneaux où sont apposées les neuf fiches de Livres Humains. Quelques assoiffés restent un moment du côté de la buvette.

Caroline, Delphine et Bernadette forment des groupes de dix personnes qui, petit à petit, commencent à rejoindre les maisons où sont hébergés les « Livres ». Et c’est parti pour deux d’heures d’allers-retours permanents entre la salle et les lieux de restitution d’histoires. Dans la rue, quand les groupes se croisent, les impressions sont échangées.

« Alors ? », « C’était quoi votre livre ? », « C’était touchant. C’était fort ». «  Ça m’a fait penser à ma mère »…

Dans la salle, un autre groupe attend qu’une fiche ait été ramenée pour repartir à nouveau vers une autre histoire. Ça semble simple, fluide, facile. Pourtant cette aisance apparente est née de l’organisation calibrée mise en place. On ne s’échange pas de fiches entre groupes dans la rue. Chaque grappe de spectateurs auditeurs doit impérativement revenir au bercail pour rendre le feuillet puis en récupérer un autre. Certains groupes se décomposent pour se recomposer différemment. Ils étaient dix, les voilà cinq à présent tandis qu’un autre groupe a récupéré des ouailles esseulées.

 

 

Dans la rue, c’est un défilé permanent d’ombres qui se révèlent dans la luminosité des réverbères, puis disparaissent quelques mètres plus loin pour devenir à nouveau des silhouettes mouvantes. On n’entend que les voix qui évoquent le livre qu’elles viennent de quitter, une maman qui dispute son enfant excité, des chuchotements, des murmures, des éclats de rire ou des discussions entre amis. Pendant deux heures, le village ressemble à un décor improbable dans lequel la vie se révèle au dehors plutôt qu’en dedans. La population de la commune a presque doublé  le temps de cette soirée insolite.

 

 

Vingt-et-une heure quarante-cinq

Les derniers groupes quittent la salle bibliothèque pour une dernière virée vers les Livres Humains. Un petit dernier pour la route avant que tout ce beau monde, hébergeurs et Livres Humains compris ne se retrouvent dans la salle des fêtes. La buvette bat maintenant son plein. La « soupe des copains » est enfin servie. Pommes de terre, épices, lait de coco. Elle embaume la pièce où une centaine de personnes se sont rassemblées. Delphine et Caroline montent sur une chaise. Le public s’est tu. Elles évoquent cette soirée, parlent du sens de cet évènement, présentent chaque Livre Humain, remercient ceux qui ont rendu l’évènement possible. La suite, c’est le monde le l’informel, les « lecteurs » rencontrent les « livres », les amis croisent d’autres amis. Il fait bon être là dans cette atmosphère où les histoires intimes incitent au lien.

 

 

Quand les derniers bavards quittent les lieux sur le coup des vingt-trois heures trente, commence le gros rangement. Les véhicules vidés en début d’après-midi récupèrent leur charge. La salle retrouve quasiment son aspect originel. On croirait presque que rien ne s’y est passé. Il est minuit et demi quand le portail de la cour se referme et que la caravane de la Carotte, toujours sous le préau, ne devienne le seul gardien silencieux d’un ex-antre à histoires. Les souvenirs de ces errances se colportent maintenant dans toutes les directions, par les têtes encore émerveillées qui regagnent leurs pénates.

 

 

C’étaient des « livres ». C’était humain. C’était fort. C’était réjouissant. C'était simple. C'était puissant. 

La bibliothèque humaine 2025 s’est achevée.

Vivement celle de 2026.

 

 

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Delphine et Caroline , les "bibliothécaires"



23/03/2025
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