THEATRE DU PUZZLE

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Livre / "Derborence" de Charles-Ferdinand Ramuz

DERBORENCE

Charles-Ferdinand Ramuz

Editions Grasset Collections Cahiers Rouges -2023 -  183 pages

Première édition en Suisse – 1934

 

 

 

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Le nom de Derborence, à l’origine, s’est fait connaître par un drame de la montagne qui a eu lieu dans le Valais Suisse le 23 septembre 1714 (imaginez ce début de 18ème siècle, un an avant la mort de Louis XIV, le Roi Soleil).

Un pan entier de paroi rocheuse s’est détaché puis écroulé sur des pâturages, appelés Alpe du Fricaut et l’alpage de Zeveillie, situés derrière une gorge, toute proche de la vallée du Rhône (eh oui ! le Rhône coule aussi en Suisse, en amont du lac Léman, n’en déplaise aux fervents chauvinistes  et patriotes français). Quatre torrents ont vu leur cours soit complètement arrêté, soit modifié.

 

 

 

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Derborence aujourd'hui

 

 

 

Quinze personnes y trouvèrent la mort, en plus de 140 têtes de bétail qui disparurent sous les tonnes de rochers. Ce drame eut un énorme écho à son époque, d’autant plus que cet écroulement de la paroi des Diablerets va déstabiliser le sommet de la Tête de Barme, provoquant, 35 ans plus tard, un nouveau drame (le 23 juin 1749). Le Derochoir, une des arêtes de la Tête de Barme,  s’effondrera à son tour. Ce second épisode ne fera que 5 morts, des Bernois qui n’avaient pas voulu quitter les lieux quand l’alerte a été donnée.

Selon l’estimation des géologues, ces deux effondrements de roches ont fait basculer 50 millions de mètres cubes de pierre dont certaines très imposantes. 

 

 

 

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Dessin de Derborence dans la BD de Fabian Menor

 

 

 

C’est le drame de 1714 qui a inspiré le roman de Charles Ferdinand Ramuz. Une chronique villageoise sur fond de drame montagnard. Dans un style très imagé, en lien avec la nature sauvage de l’endroit, Charles-Ferdinand Ramuz raconte l’histoire d’amour d’Antoine, un jeune berger parti dans l’alpage avec le vieux Séraphin, et Thérèse, une jeune femme restée au village. Ils s’aiment mais le travail de la montagne les sépare. C’est là que survient le drame. Antoine disparaît sous les tonnes de rochers. On le croit mort. Pourtant…

 

 

Au travers de la quête d’une femme amoureuse, l’auteur nous plonge dans le quotidien d’une communauté rurale avec ses croyances, son défaitisme parfois, mais aussi sa solidarité même entre des populations villageoises qui ne parlent pas la même langue, pas le même patois. C’est un monde rude, difficile. C’est dans ce contexte que se situe l’amour entre Antoine et Thérèse. C’est ce qui ressort de ce récit où l’amour cherche à être plus fort que la mort, plus courageux que les préjugés et les peurs. Le lecteur bascule sans cesse entre poésie des paysages, comédie de mœurs qui vire du pathétique au cocasse et les grandes envolées sentimentales, la puissance qui fait que l’amour dépasse les limites du normalement acceptable. Il en ressort une forme de féminisme  d’un autre temps quand cette jeune femme dépasse toutes les superstitions, tous les interdits, par amour pour son homme, le père de l’enfant à naître.

 

 

 

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On comprend que ce texte ait inspiré les artistes, notamment au cinéma. Francis Reusser a porté à l’écran ce texte en 1985 avec Isabelle Otero dans le rôle de Thérèse. Primé aux Césars, nommé pour le Festival de Cannes, ce film a eu un gros succès en Suisse lors de sa sortie.

Un jeune bédéiste suisse, Fabian Menor,  s’en est inspiré 2020 en restant fidèle à l’esprit de Ramuz. Une BD à l’encre et à l’aquarelle qui met en scène le côté sombre de la montagne mais aussi la lumière qui parle de vie et d’espoir.

 

 

Le roman de Charles-Ferdinand Ramuz nous interroge à distance sur notre fatalisme, sur notre acceptation collective de ce qui est et qui ne devrait pas être, sur notre soumission à l’ordre établi. Le personnage de Thérèse est magnifique dans sa volonté farouche d’aller au bout de sa quête.  Il a de quoi nous donner une autre perception de la vie, nous faire avancer vers cet inconnu que tout le monde redoute mais qui, pourtant, est le lieu où émergeront nos espérances.

 

 

Un livre qui a été étudié par de nombreux enfants suisses à l'école.

Un livre à découvrir ou redécouvrir pour nous aujourd'hui…

 

 

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Extraits 

 

 

Page 45

Il faisait très beau. Elle voyait entre ses pieds des petites fourmis rouges qui portaient leurs oeufs à la fille au fond d'une rainure qu'elles avaient fini de creuser dans la poussière - une espèce de ruelle aussi, car les fourmis, c'est comme nous, se disait-elle ; ls fourmis avec leurs oeufs plus gros qu'elles, c'est comme nous avec nos filards de foin qui sont aussi gros que nous.

 

 

Page 66

La porte d'une étable s'ouvre, c'est la chèvre qu'on va traire. Il n'y a guère de vaches en été et d'ailleurs guère d'hommes valides ; c'st un village de chèvres, de femmes, d'enfants, de vieux. 

 

 

Page 89

On a cubé l'importance du décrochement, de manière à pouvoir modifier les plans de la commune et remplacer sur une des feuilles de registre ce qui était inscrit comme pâturages et terres fertiles pr la mention : terres inutilisables

 

 

Page 103

Il regarde l'eau, il l'admire, parce qu'elle fait un trou dans la montagne retournée à son sommet, c'est-à-dire dans la profondeur, un lambeau de ciel bleu comme un linge oublié le jour de lessive. 

 

 

Page 167

Ailleurs, on voyait des javelles se tenir debout trois par trois, étant inclinées l'une vers l'autre et réunies en haut par es épis ; de loin, dans le jour pas bien levé encore, c'étaient des petites dames qui faisaient la causette. 

 

 

Page 169

Ils avaient fait halte un moment pour souffler, s'étant assis tous trois contre le talus qui bordait le chemin ; Thérèse ne disait rien, car elle n'avait rien à dire. 

 

 

Page 183

Derborence, le mot triste et doux dans la tête pendant qu'on se penche dans le vide, où il n'y a plus rien, et on voit qu'il n'y a plus rien. C'est l'hiver en dessous de vous, c'est la morte saison toute l'année. Et si loin que le regard porte, il n'y a plus que des pierres et des pierres et toujours des pierres. Depuis deux cents ans à peu près. 

 

 



21/11/2023
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