THEATRE DU PUZZLE

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Récidive : la conférence de consensus contre le « tout-carcéral » - Février 2013

Récidive : la conférence de consensus contre le « tout-carcéral »

 

 

Le jury de consensus sur la prévention de la récidive a visé loin et haut, et sa présidente Françoise Tulkens, une ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme, a remis, mercredi 20 février, un rapport radical au premier ministre : si le gouvernement mettait en oeuvre la moitié de ses recommandations, la face de la justice pénale en serait changée. Le jury propose d’« engager la justice dans la voie d’un changement réel, sérieux, solide, pour assumer sa responsabilité dans un monde nouveau », et va beaucoup plus loin que ce que pouvaient envisager les socialistes.

Le risque en était assumé : plutôt que mettre en place un groupe de travail, Christiane Taubira, la garde des sceaux, avait installé en septembre 2012 un comité présidé par une magistrate, Nicole Maestracci, qui a à son tour choisi un jury indépendant de vingt personnes d’horizon divers, dont un ancien député UMP,Etienne Pinte.

Ce jury a interrogé en public 27 experts, puis s’est retiré à huis clos, dans une sorte de fiévreuse nuit du 4-août, pour chercher un consensus. Ses recommandations sont un reflet raisonné des débats, qui ont si fort déplus à la hiérarchie judiciaire que les chefs de juridiction ont quitté les auditions, jeudi 14 février, pendant que leur ministre prenait sagement des notes.

 

 

LA PEINE DE PROBATION

Le jury considère qu’il dispose « d’éléments fiables pour remettre en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive ». La prison,« la forme la plus évidente et la mieux admise des peines », n’offre à la société« qu’une sécurité provisoire » et ne doit plus être qu’une peine parmi d’autres. Le jury propose de supprimer les peines automatiques comme les peines planchers qui contribuent à remplir les prisons. Il propose surtout de créer une peine de probation « indépendante, et sans lien ni référence avec l’emprisonnement » pourpermettre « la réinsertion de la personne condamnée et la protection de la société, ainsi que celle des victimes ».

Le tribunal pourrait la prononcer et le juge d’application des peines la définir, après une évaluation du justiciable par un service de probation : un programme individualisé imposerait au condamné « différents modes de réparation » – médiation, réparation du préjudice, travail d’intérêt général –, un suivi – injonction thérapeutique, stage de sensibilisation – en insistant sur les facteurs de réinsertion comme l’accès au logement, à l’emploi, aux soins.

Cette peine se substituerait au sursis simple, et en cas de non-respect, le jury ne souhaite pas une « sanction couperet » : les sorties de la délinquance sont progressives, et « la réitération occasionnelle n’implique pas l’abandon du processus mais en fait au contraire souvent partie ». Le non-respect systématique de la probation constituerait cependant un délit, suivi d’un renvoi devant le tribunal.

Cette peine de probation va nécessairement heurter. « Le jury reconnaît que la compréhension et l’acceptation de cette nouvelle peine ne seront pas acquises d’emblée », admet le rapport.

 

 

LA DÉPÉNALISATION

Le jury « a choisi comme principe fondamental l’évitement de la prison ». Il a réfléchi à la dépénalisation de certains délits, mais n’a pas « de données suffisantes pourfaire des propositions ». Il suggère de « contraventionaliser » certains contentieux de masse, comme les délits routiers qui constituent un peu moins de la moitié des affaires correctionnelles. Le jury entend sans surprise supprimer la peine et la surveillance de sûreté, qui visent à garder un détenu même après la fin de sa peine. Parce que la rétention, « particulièrement attentatoires aux libertés » est fondée « sur une notion aussi floue » que la dangerosité.

 

 

LA RÉCIDIVE

L’emprisonnement est le lot commun des récidivistes, avec des sanctions automatiques et peu de possibilités d’aménagement de peine, constate le rapport. Le jury juge la situation contradictoire, d’autant que toutes les études prouvent que les aménagements de peine sont efficaces contre la récidive. Il ne s’agit pas demettre dehors les tueurs en série : « le taux de récidive et particulièrement élevé en matière de délits routiers et d’atteintes aux biens, alors que celui concernant les crimes les plus graves est faible ». Il ne faut donc pas concevoir une politiquepublique « en fonction des cas les plus extrêmes » qui sont rares.

 

LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE

La privation de liberté « reste pour beaucoup une peine nécessaire », indique le rapport, mais les conditions de détention « aggravent au contraire le risque de récidive ». Le jury estime qu’il ne faut pas augmenter le parc pénitentiaire mais l’améliorer, ouvrir la prison à l’extérieur et accorder des droits aux détenus.

Il fait « le choix résolu de la libération conditionnelle », qui n’est aujourd’hui « qu’une faveur » accordée à 10 % des sortants. Elle doit être délivrée d’office et « devenir lemode normal de libération des détenus », y compris pour les récidivistes.

Le jury s’oppose encore aux peines de sûreté systématiques pour les condamnations à dix ans de réclusion criminelle.

 

 

L’ACCÈS AUX PRESTATIONS SOCIALES

Le rapport insiste sur l’accès des sortants de prison aux dispositifs sociaux. Cette mission pourrait être confiée aux collectivités territoriales, devenues « un acteur central » dans la prévention de la récidive. Des assistantes sociales seraient présentes en prison et les services publics y assurer des permanences. Enfin, il recommande d’aligner les droits des mineurs aux jeunes majeurs, jusqu’à 21 ans,« l’âge de la majorité ne coïncidant pas nécessairement avec l’âge de la maturité « .

François Hollande s’est déjà prononcé pour la création d’une peine de probation, mais il lui faudra un certain courage politique pour faire admettre les libérations conditionnelles d’office et la plupart des préconisations du rapport.

 

 

 

Complément à l'article 

(paru sur le site de l'Indisciplinée le 28 février 2013)

 

Prisons :

quand comprendra-t-on qu’elles n’entravent pas la délinquance ? 


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La publication du rapport annuel sur les lieux privatifs de liberté et les réflexions portées par la chancellerie autour des sorties conditionnelles représentent deux actualités propices à dénouer des amours étranges entretenus par la société française avec l’institution prison. Le fantasme ambiant tendant à considérer l’incarcération comme un remède adapté aux nombreuses désobéissances qualifiées derrière la sacro-sainte notion de sécurité, affronte une fois de plus, un débat critique susceptible de l’effriter.

Courage(s)

Il faut du courage politique pour dénoncer l’idée que la prison n’est et ne sera jamais une solution idéale pour soigner les maux de notre société, le crime en l’occurrence, et son amère complice, la récidive. Il faut de l’ambition pour dénoncer le paradigme qui tend à voir dans l’organisation de la souffrance, en l’occurrence par la privation des libertés et le stockage des êtres au cœur d’établissements où règnent l’indignité, l’injustice, la violence, comme autant d’occasions de régression, une réponse nécessairement efficace aux multiples formes de délinquance, petites et grandes.

Il faut du courage intellectuel pour désamorcer les sentiments de vengeance, qui ne manquent pas d’alimenter les opinions publiques, écartant le remède pénal de ses objectifs de réinsertion lorsqu’il s’agit de punir sans réparer. Il faut aussi de l’honnêteté pour reconnaître qu’il est des situations où l’enfermement carcéral, cette « détestable solution » dont parlait Michel Foucault, ne peut être évitée. Le débat actuel représente l’occasion de faire taire des mensonges, celui de la coercition salvatrice pour la société, faussement omnipotente lorsqu’elle est utilisée comme une réponse pénale prioritaire.

L’enfermement, une peine de dernier recours

Débarrasser le concept pénal du concept aussi absurde que dangereux de « tolérance zéro », qui justifie outre-atlantique et ailleurs, la mise à mort des criminels, constitue un risque politique. Les accusations de laxisme et d’angélisme ne vont pas manquer pour critiquer une fois encore des avancées pénales qui n’arborent pas, de principe, le visage de la coercition. Le vrai débat est pourtant bien autour de ce mot. Faire œuvre de pédagogie pour expliquer aux électeurs que la prison, telle qu’utilisée depuis de longues années, est une solution préjudiciable pour la société entière, est un pari lancé quant à la capacité des français à comprendre autre chose, à penser autrement.

À l’heure où toutes les études, nationales et internationales, attestent que la récidive se combat par l’accompagnement social, le débat ouvert à la suite du rapport du Contrôleur général des lieux privatifs de liberté sur les prisons, constitue l’occasion d’avouer les égarements passés et présents tout en ouvrant une fenêtre optimiste sur une autre manière, pragmatique avant d’être idéologique, de concevoir la politique pénale.

La prison n’est pas un remède

Personne ne peut ignorer que vivre en société requiert le maintien de liens sociaux, une structure mentale, psychologique et culturelle, mais aussi des conditions concrètes, notamment économiques, pour vivre et survivre au dehors dans le respect de la légalité. Pendant ce temps, la prison écarte les enfermés de ce dehors où l’on ambitionne de les réinsérer. Leurs vies affectives, sexuelles et professionnelles sont brisées par la durée des peines.

Depuis les fondateurs de la prison, on sait que les établissements pénitentiaires sont des institutions où la délinquance s’apprend, se ressource et s’amplifie. Offrir l’enfermement comme un remède généralisé à la société, c’est en quelque sorte prescrire un médicament qui tue. La population doit entendre les connaisseurs du monde carcéral, les criminologues et les pénalistes, leur faire confiance lorsqu’il s’agit de trouver des solutions innovantes à des attentes, légitimes, en terme de respect de la loi. Il serait lâche de capituler devant la capacité de nos concitoyens à modifier leurs opinions en matière de réponse pénale, qui ne peut se résumer à l’idée de sanction.

Les investissements économiques sur lesquels le gouvernement ne peut faire l’impasse ne doivent pas être concentrés dans la construction de murs toujours plus hauts et plus nombreux. Au contraire, drainer la population pénale vers un accompagnement requiert des investissements humains qui permettent de penser la politique comme une manière de dessiner des horizons là où nous sommes habitué à des pansements législatifs ponctuels satisfaisant une politique du chiffre, de l’immédiat et de la communication.

C’est à la société toute entière de comprendre que l’intérêt commun consiste à utiliser la prison comme une solution de dernier recours. C’est à dire, à l’encontre de l’imposture contemporaine du « tout prison », et à l’instar des recommandations internationales qu’on aurait tort d’ignorer. Ayons l’honnêteté d’admettre que l’inflation carcérale n’est pas la solution mais plutôt le problème. C’est aussi ce que nous apprend la folie de l’enfermement de masse observable dans des ailleurs dont nous serions bien avisés de ne pas nous inspirer.



25/02/2013
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