Livre "La Batailleuse" de Milèna Francioli et Matthieu Prégniard - Editions REPAS
La Batailleuse
Un centre d’accueil et une ferme autogérés dans le Haut-Doubs
de Miléna Francioli et Matthieu Prégniard
Editions REPAS
123 pages - 2025
Connaissez-vous les CLAJ (Clubs de Loisirs et d’Action de la Jeunesse) ?
Bien au-delà du droit aux vacances pour tous, d’une autre forme de relations humaines et d’une approche respectueuse et solidaire dans les rapports entre les vivants, ces associations se donnent pour objectif de mieux comprendre la société et le monde pour un changement politique en choisissant une autre mode de vie qui s’éloigne des logiques capitalistes et qui met en pratique les idéaux de l’éducation populaire (« Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde »).
C’est un mouvement qui trouve sa source dans l’euphorie des congés payés (1936) et le droit pour tous d’accéder enfin aux vacances, une manière de considérer que « le soleil brille pour tout le monde ». Tout cela commence à Nice en 1945 avec l’association ouvrière Jeunesse Camping. Très engagés dans le combat syndical et la lutte pour les améliorations des conditions de travail, ces jeunes issus des quartiers populaires permettent à des personnes qui n’en ont pas les moyens de vivre des sorties d’hiver à la montagne dans des centres remis à neuf à cet effet. Ce mouvement se généralise à l’ensemble du pays jusqu’à créer une entité nationale dont le siège se trouvait à Paris avec des centres d’accueil dans toute la France.
Le bâtiment d'accueil de la Batailleuse à Rochejean
Miléna Francioli et Matthieu Prégnard racontent dans leur livre l’histoire d’un de ces centres, la Batailleuse, situé à Rochejean dans le Haut-Doubs, vers Métabief, au sud de Pontarlier.
Tout au long des pages se retrace une aventure de 45 ans avec le travail fermier, des réalisations hors du commun, l’autogestion, des rencontres riches et des partages incessants, les espoirs, les doutes, les remises en question permanentes guidées par la puissance de valeurs fortes autour de l’idée que chaque humain a sa place à l’égal des autres. La Batailleuse est un lieu vivant ouvert sur le monde. Cette ferme accueille enfants et adultes dans l’idée que notre monde peut être autre chose qu’une lutte permanente pour le pouvoir. La coopération est une ligne directrice à contre-courant de la compétition qui reste un marqueur dans nos sociétés modernes.
Le livre témoigne d’un parcours fascinant mais difficile qui demande un véritable engagement dans une démarche où rien n’est acquis d’avance, où les décisions sont prises en commun. Les contradictions et les crises sont traitées sans se voiler la face. Les témoignages de celles et ceux qui ont fait un bout de chemin à la Batailleuse montrent toute la richesse de ce parcours parfois chaotique qui a fait grandir les gens dans leur humanité et leur considération de l’autre, dans leur vision de la planète.
Bien au-delà de ce centre d’accueil, sont posées les questions de notre rapport à autrui, notre manière d’aborder notre lien au monde sans se fermer les yeux. C’est pourquoi ce livre a une portée beaucoup plus grande que le simple récit d’un CLAJ local. Il pose des fondements essentiels pour une réflexion en profondeur sur ce que devrait être une société ouverte où chacun puisse se sentir respecté et considéré. Très souvent, marquée par les fausses vérités médiatiques, un grand nombre de personnes préfèrent choisir un chemin simpliste qui semble rassurant par sa pensée unique. Le pouvoir populisme et les démocraties occidentales y trouvent là de quoi nourrir des formes de nationalisme et d’exclusion. On oublie trop souvent que les perspectives vers un monde meilleur sont souvent complexes et demandent d’accepter d’emblée les différences qui, loin d’être un handicap, sont d’abord des sources de richesse pour chacun et des possibilités créatives pour la collectivité.
Miléna Francioli et Matthieu Prégniard ont réussi dans cet ouvrage à porter le débat sur l’idée qu’un autre monde est concevable, qu’avec persévérance, il est possible de penser et vivre autrement, de sortir des logiques de pensée emprisonnantes qui empêchent de s’ouvrir aux autres. C’est un livre passionnant qui offre des clés pour un autre regard sur le sens de l’humanité.
Extraits
Page 34 :
(…) Unir la ville et la campagne, unir le travail manuel et intellectuel.
Page 41
L’éducation populaire à la Batailleuse des débuts a pour objectif de se former pour mieux comprendre la société et le monde qui nous entoure afin d’aboutir à un changement politique. Même si l’éducation populaire est restée une pierre angulaire de l’association, elle a évolué : il s’y est ajouté par exemple une dimension environnementale.
Page 63
Les tâches du quotidien (vaisselle, ménage, etc.) font partie intégrante du projet pédagogique. Ici, pas de femme de ménage, la vaisselle n’est pas une punition, c’est un moment de partage et un temps pour prendre conscience du respect de chaque tâche ou métier. Le faire ensemble crée la dynamique et l’envie du groupe.
Page 80
La transmission des compétences et des savoir-faire est complexe, car travailler au CLAJ ce n’est seulement apprendre un métier, c’est apprendre à travailler ensemble.
Page 94
Au CLAJ, on revendique une autre forme d’organisation du travail que le modèle dominant, un autre mode des gestion avec l’absence de distinction entre dirigeant-es et dirigé-es (le principe étant : une personne = une voix)
Page 111
A la ferme, les chèvres bêlent, les vaches meuglent, les lapins clapissent, les cochons grouinent, les poules caquettent, mais parfois la vie ne fait pas de bruit. Nous pensons à toutes les plantes potagères qui grandissent avec force à la belle saison dans notre grande serre.
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