Livre / "Il avait plu tout le dimanche " de Philippe Delerm
IL AVAIT PLU
TOUT LE DIMANCHE
de Philippe Delerm
Editions Mercure de France / 1998
118 pages
On ne présente plus Philippe Delerm et son style reconnaissable dés les premiers mots. On ne présente plus "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules", livre qui a eu un succès considérable et qui recensait, tel Epicure, les petits bonheurs du quotidien dont on ne s'aperçoit pas forcément à première vue.
"Il avait plu tout le dimanche" est écrit dans la même veine, mais avec une unité autour d'un personnage central, M. Spitzweg, employé d'un bureau de poste rue des Saint-Pères à Paris, personnage dont il nous dresse le portrait dans son décor francilien. Chaque chapitre commence par des références à M. Spitzweg :
" Monsieur Spitzweg n'a pas de répondeur sur son vieux téléphone..."
" Monsieur Spitzweg n'est pas un coureur de musée..."
"Monsieur Spitzweg n'aime pas aller chez le docteur..."
"Monsieur Spitzweg ne prend jamais le métro pour aller travailler..."
"Monsieur Spitzweg n'a rien contre les supermarchés..."
"Vais-je léguer mon corps à la science ? Monsieur Spitzweg s'est longtemps posé la question..."
"Monsieur Spitzweg aime les premières pages des Maigret : "Il avait plu tout le dimanche, une pluie froide et fine, les toits et les pavés étaient d'un noir luisant...."
Vous l'aurez deviné, la vie de M. Spitzweg est observée dans le détail par ce qu'il aime ou n'aime pas, par ce qu'il fait ou ne fait pas, par ses relations aux collègues, à la femme qu'il va aimer, par tous ces petits aspects du quotidien qui rappellent forcément des choses de notre propre quotidien, mais ici racontées avec ce style et cet humour si particuliers à Philippe Delerm qui nous fait regarder là où on n'aurait pas, d'emblée, fourrer le nez, ni même le reste.
C'est drôle, subtil et délicat, parfois mélancolique mais toujours tendre envers les personnages pour lesquels l'auteur développe une grande empathie.
On finit par connaître M. Spitzweg sur le bout des doigts, avec un sourire au coin des lèvres, Monsieur Spitzweg et ses manies, Monsieur Spitzweg et ses habitudes, Monsieur Spitzweg et son travail, Monsieur Spitzweg et ses amours, Monsieur Spitzweg et Paris...
Paris Gare Saint-Lazare
Ah Paris !
Car Paris a, dans ce roman, beaucoup d'importance. C'est un personnage en lui-même. On y déambule de quartier en quartier, de rue en rue, avec la précision du détail , "en plein milieu de la rue de Rennes, à deux pas de la FNAC","un samedi de février au Père-Lachaise", dans le métro entre "Saint-Lazare et la Fourche", "Passage Jouffroy" devant "la désuette véranda de l'hôtel Chopin", sur la ligne ferroviaire "Saint-Lazare, Pont-Cardinet, Clichy, Asnières, Courbevoie, Bécon"-les Bruyères...
Monsieur Spitzweg aime Paris tout autant que Philippe Delerm lui-même.
Tels des promeneurs qui ont le temps, nous (re?)découvrons Paris au travers des "aventures" de Monsieur Spitzweg.
Voic donc un petit livre truculent qui se ferme au final le sourire aux lèvres et une forme de sagesse en plus. Plutôt pas mal par les temps qui courent.
Philippe Delerm
Extraits
Page 14
Même en parlant, il se sent seul, M. Spitzweg.
Page 23
C'est un devoir. M. Spitzweg aime bien trouver son plaisir dans le devoir.
Page 24
Plus de trois heures sur le trottoir, parfois c'est rassurant. Si l'on attend, c'est qu'il y a quelque chose à voir.
Page 28
M. Spitzweg l'a remarqué : les gens vivent beaucoup dans le regard de l'autre.
Page 37
Dans les premières pages des Maigret, il pleut souvent.
Page 37
En fait, si l'on compte bien, Maigret est alcoolique. Mais de chapitre en chapitre, de meublé en bistrot, toutes les occasions de lever le coude restent des petites douceurs séparées qui donnent du coeur au ventre.
Page 38
Monsieur Spitzweg se sent comme un Maigret dont la femme serait partie à tout jamais pour quelques jours.
Page 47
Monsieur Spitzweg enregistre, oui. Mais il ne regarde pas souvent. Alors pourquoi garder ? Pour plus tard ? Pour très tard. Ou pour presque toujours. Pour se bâtir une mémoire (...) M. Spitzweg a moins peur de la mort au milieu des cassettes enregistrées.
Page 39
Quand on lui demande ce qu'il pense des colonnes de Buren, Monsieur Spitzweg répond qu'il considère la pyramide du Louvre comme une réussite.
Page 71
Une petite phrase de Goscinny chante en lui, lui revient de l'époque où il lisait les épisodes du "Petit Nicolas" dans le journal Pilote. : "Un marché, c'est comme une cour d'école qui sentirait bon."
Page 76
"La postérité, c'est un discours aux asticots." La phrase de Céline vient conforter son cynisme latent.
Page 102
Monsieur Spitzweg est allé jusqu'à inventer ce bien étrange paradoxe : "oui, j'ai de la mémoire, car je n'ai pas de souvenirs."
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