Album / 12 septembre - l'Amérique d'après
12 septembre
l'Amérique d'après
sur une idée originale de Pascal Delannoy
(journaliste à France-Info)
Co-Edition Radio-France et Casterman / 2011
205 pages
Le travail de mémoire est essentiel aux humains pour se relier à leur propre histoire, qu'elle soit personnelle ou collective. Se savoir dans une lignée en perpétuelle avancée permet autant de réfléchir aux tragédies qui ont émaillé l'histoire du monde pour ne pas les reproduire que de se sentir humble quant à sa place dans l'humanité toute entière.
C'est aussi pour cela que l'éducation à l'histoire, la géographie, le science est essentielle dans la système scolaire. Savoir l'autre dans toutes ses dimensions, c'est également se savoir son égal sans complexe d'infériorité ni sentiment de supériorité.
Les évènements qui ont marqué l'histoire de la planète font partie de cette mémoire commune que nous nous partageons d'un bout à l'autre de la Terre.
Le 11 septembre 2001 n'échappe pas à la règle. Il faut dire que cet évènement "historique" est sans doute le premier pour lequel les habitants de la planète toute entière (souvent par télévision interposée) ont pu ressentir en direct l'impact sur l'histoire du monde. Il y a eu un avant puis un après 11 septembre.
Cela s'est passé il y a dix ans. Et, inévitablement, encore plus dans une situation où les Etats-Unis et leurs alliés européens sont encore empêtrés dans des guerres qui n'en finissent plus, ce jour de commémoration du 11 septembre 2011 est incontournable.
Pour les adultes qui étaient en âge de saisir ce qui s'est passé il y a dix ans, il va défiler dans leurs têtes ces images incroyables que même des films hollywoodiens n'auraient même pas imaginées. Il va se reproduire ce sentiment d'horreur face à l'humainement incompréhensible.
Ce sentiment d'horreur, cet humainement incompréhensible est aussi valable pour tous ces "11 septembre" quasi quotidiens et invisibles où meurent de faim dans l'indifférence quasi générale des populations de Somalie, où des ethnies sont massacrées ici ou là pour des enjeux de pouvoir, des intérêts économiques ou religieux, même souvent les trois réunis. Les pouvoirs en place fomentent des discours de rejet et d'exclusion au nom de la supériorité de leur pensée sur les autres. On parle de guerres de religion, de démocratie alors qu'en fait, le plus souvent, des intérêts privés se combattent pour des sources d'énergie, des intérêts financiers ou le pouvoir économique.
Plantu rappelle dans un de ses dessins que les Talibans ont été armés par... les américains.
Ce dessin est reproduit dans ce magnifique album "12 septembre" à l'initiative de Radio France, sur une idée de Pascal Delannoy, ancien directeur de France-Info, journaliste et chroniqueur à la dite station.
Pour la commération du 11 septembre, il est ici question du "12 septembre".
Plutôt que de se focaliser sur ce qui s'est passé et qui a été disséqué dans ses moindres détails, dans des images vues et revues des millions de fois, les éditions Casterman et Radio-France ont sorti un album de bandes dessinées, dessins et textes sur le monde d'après, sur là où nous en sommes en 2011, sur les constats et les questions en suspens, sur les perspectives et les craintes, sur les espoirs. Car, sans doute, au-delà des évènements tragiques et extrêmement douloureux pour les familles des victimes et la communauté humaine, le 11 septembre parle de ce que va devenir le monde, après.
L'idée du 12 septembre, comme ce qui vient ensuite, est donc tout à fait pertinente.
Avec une superbe première de couverture signée Enki Bilal, ce livre donne immédiatement envie de s'y plonger. On reconnaît de suite le style des célèbres BD d'anticipation qu'il a dessinées avec les textes de Pierre Cristin, puis celles qui ont suivi sous son seul nom. Rappelez-vous "La Foire aux Immortels". On voit les deux tours comme des blocs monolythiques et des corps vivants qui montent au lieu de descendre. Par-delà le discours religieux qui n'est de toute évidence pas le sujet de ce dessin, cela ressemble davantage à un hymne à la vie. L'humanité reste debout malgré tout, plus forte que l'horreur. On voit aussi deux cockpits d'avions de ligne, blancs, apaisés. Ils transportent mais ne tuent pas.
Le contenu de l'ouvrage est riche de contributions diverses (dessinateurs de presse comme Plantu, Daryl Cagle, artistes comme Charlélie Couture, Barbara Hendricks, journalistes, écrivains, auteurs de bandes dessinés comme Art Spiegelman, architectes comme Jacques Ferrier). C'est un livre vivant où le monde de la création et du reportage s'unit pour témoigner et proposer, pour réfléchir et rêver.
En avant-propos, Russell Banks écrit une lettre datée de février 2011 pour son petit-fils éthiopien adopté par sa fille et son gendre. Cet enfant a 3 ans. Russell Banks imagine laisser la lettre de côté pour qu'il la lise en 2031 quand l'histoire aura avancé et qu'il sera devenu un adulte à part entière.
En voici un extrait
LE FUTUR : LETTRE A MON PETIT-FILS
Mon cher Bedelu, j'écris cette lettre en février 2011 pour que tu la lises dans vingt ans, en 2031. Tu viens juste d'avoir 3 ans, toi, le magnifique petit orphelin noir né dans un poussiéreux village d'Éthiopie et élevé à Los Angeles par ma fille et mon gendre, qui t'ont adopté quand tu n'étais encore qu'un nourrisson. Tes parents sont des Américains blancs issus de la classe aisée, ils t'aiment profondément et te font bénéficier de tous les avantages et privilèges auxquels un enfant peut avoir accès en Amérique. Naturellement, j'espère qu'en 2031 tu auras l'envie et la possibilité de lire ma lettre, de préférence sous sa forme manuscrite originale. Nul doute qu'elle te parviendra numériquement grâce à un appareil de lecture que je ne peux pour l'instant imaginer, pas plus que les Sumériens ne pouvaient concevoir l'existence de l'ordinateur portable lorsqu'ils prenaient des notes sur des tablettes d'argile avec un stylet.
Je t'écris aujourd'hui, Bedelu, car, en plus d'être mon petit-fils adoré, tu représentes une Amérique idéalisée, pluriraciale, pluriethnique, pluriculturelle, qui n'existe pas encore tout à fait. On en prend tout de même le chemin en ayant récemment élu un président métis dont le père est kenyan et la mère américaine. J'essaie d'imaginer le monde dans lequel tu vas vivre dans vingt ans, quand tu seras devenu un homme. D'ici là, mon Amérique - la vraie, pas celle que l'on idéalise - sera devenue la tienne, et j'aimerais savoir si cela est censé me rassurer ou si, au contraire, je dois envisager ton avenir, et celui de l'Amérique, avec effroi, voire avec regret.
Alors que j'écris ces lignes, notre pays mène une guerre vieille de dix ans en Irak, en Afghanistan et ailleurs. Notre prétendue guerre contre le terrorisme. Et je me demande si, au moment où tu liras ces mots, cette guerre aura pris fin. En septembre 2001, quand l'administration Bush a déclaré la guerre à cette chose appelée «terrorisme», j'étais bien loin de m'imaginer qu'elle puisse durer aussi longtemps. Au passage, j'avais jusqu'alors toujours compris que le terrorisme était une tactique, et non un ennemi. J'étais également loin de m'imaginer que cette guerre puisse transformer notre société plus ou moins ouverte en un État sécuritaire complètement tétanisé. Pourtant, suffisamment d'Américains étaient bel et bien terrorisés (non par des kamikazes fanatiques mais par le gouvernement américain, par les lobbyistes des multinationales et par les médias traditionnels) pour que l'ensemble du pays se mette à voir l'ennemi partout. Ainsi nous avons cru nécessaire de devoir faire la guerre partout, même sur notre propre sol, de façon plus ou moins permanente. En conséquence, en plus d'être un État policier, nous sommes devenus un État-garnison.
Il y a deux ans et demi, nous avons élu un président qui prétendait être contre la guerre. En réalité, il s'est révélé être seulement en désaccord avec la gestion et la planification de la guerre par l'administration précédente. Et ainsi, d'un président à l'autre - et cela ne s'arrêtera probablement pas de sitôt - la guerre contre le terrorisme s'éternise : on passe d'un front à l'autre, de l'Irak à l'Afghanistan. Peut-être que la semaine prochaine, cela sera au tour de la Libye ou du Yémen. Ou n'importe quel autre pays islamique arriéré qui dispose d'importantes réserves pétrolières. Alors si en 2031 il s'avère que l'Islande et la Nouvelle-Zélande sont assises sur des milliards de barils de pétrole, l'Amérique pourrait bien y ouvrir deux nouveaux fronts dans sa guerre contre le terrorisme (...)"
Dans le Post-Scriptum, Barbara Hendricks écrit : "Nous vivons dans une époque d'actualités superficielles 24 heures sur 24 qui font beaucoup de bruit mais ne nous informent pas réellement (...) Je crois que les Américains, comme les Européens, doivent accepter le fait qu'ils ne contrôlent plus le monde comme avant."
Un très beau regard décalé sur le 11 septembre pour se souvenir autrement et s'en servir pour les années à venir.
Cartooning for Peace, c'est l'association créée par Plantu,
dessinateur entre autres du journal Le Monde.
Elle regroupe des dessinateurs du monde entier
dont les oeuvres sont destinées à un monde de paix et de liberté de la presse.
Régulièrement des expos de ces dessinateurs ont lieu ici et là
sous l'égide de l'association.
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