Manipulations 3 / Une histoire française / L'affaire Clearstream
3ème article-épisode sur le documentaire de Pierre Péan et Vanessa Ratignier
"Manipulations / Une histoire française"
Liens avec les deux premiers articles :
Manipulations / Une affaire française / l'affaire Clearstream
Manipulations 2 / Une histoire française / L'affaire Clearstream
dans lesquels vous trouverez les épidodes :
1. Au commencement le troisième homme
2. Clearstream, la banque des banques
3. Jean-Luc lagardère / Le scénario noir
4. Taïwan / Naissance de la zone grise
Voici donc la suite de :
5ème épisode : Karachi et le trésor de guerre
Le 1er janvier 2004, Jean-Louis Gergorin se rend au Quai d'Orsay pour voir Dominique de Villepin.
"Ecoute, il y a une histoire extraordinaire" lui dit-il. Et il se lance dans le récit du listing qu'il croit véridique et les noms troublants écrits sur cette liste. A la question des journalistes Pierre Péan et Vanessa Ratignier pour savoir si le nom de Nicolas Sarkozy se trouve sur cette liste, JL Gergorin ne répond pas.
Lors de cette entrevue au Quai d'Orsay, Dominique de Villepin lui demandera de rédiger une note au sujet de ce listing. Gergorin ne sent pas capable de le faire. Il demande alors à Imad Lahoud de la rédiger.
Cette note correspond à l'entrée du pouvoir politique dans l'affaire Clearstream.
La note d'Imad Lahoud décrit le fonctionnement de la chambre de compensation (une banque qui enregistre toutes les transactions financières entre banques) et l' "erreur" comptable soit-disant due à une panne informatique, erreur d'une valeur de 1,7 trillon d'€ sans que personne ne s'en émeuve).
Oralement, Imad Lahoud donne une information sur un soit-disant compte coupé (un compte à Clearstream, un autre dans une autre banque) au nom de Bocsa-Sarkozy, laissant supposer un lien avec le nom complet de Nicolas Sarkozy : Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa.
C'est le début de la face la plus spectaculaire de l'imposture.
Extrait des listings de la banque Clearstream
Le 9 janvier 2004, Jean-Louis Gergorin retourne au Quai D'orsay pour présenter de visu les listings à Dominique de Villepin et au général Rondot. Lors de cette réunion, le nom de Sarkozy est évoqué. Par qui ? C'est difficile à dire. En tous les cas, il l'est.
Sans le nom de Sarkozy sur les listings, il n'y aurait pas eu d'affaire Clearstream.
Car Sarkozy est l'obsession de Dominique de Villepin. L'appât d'Imad Lahoud a fonctionné à plein. Il a piégé JL Gergorin et maintenant il a fait entrer Dominique de Villepin dans l'affaire.
Il est maintenant demandé à Imad Lahoud de dresser les bilans des commissions et rétrocommissions depuis 10 ans. En fait le but est de monter un dossier d'accusation contre les politiques et les industriels dans les gros contrats militaro-industriels. C'est une demande de JL Gergorin, Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, et de son conseiller, le général Rondot. Ils semblent agir au nom du président de la république Jacques Chirac. Dominique de Villepin l'a toujours démenti.
C'est très délicat. L'enquête doit être discrète car Nicolas Sarkozy est ministre de l'intérieur et pourrait facilement être au courant de ce qui se trame.
Fin janvier, de nouveaux listings apparaissent avec les noms d'Alizée, Laetitia Casta, et même très subtilement un compte nommé BPB avec le code : Hor, laissant supposer qu'un s'agit d'un compte de la Banque Populaire de Bergame au nom de Brice Hortefeux, très proche de Nicolas Sarkozy.
C'est un nouvel appât pour Dominique de Villepin dont la haine de Nicolas Sarkozy est de notoriété publique.
Quelques semaines plus tard, un nouveau document bancaire produit par Imad Lahoud indique des comptes au nom complet de Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy Bocsa, en pleine période de la guerre des droites entre balladuriens et chiraquiens. Car, rappelons les faits, depuis 1993, après la victoire de la droite aux élections, le nouveau gouvernement est dirigé par Edouard Balladur. François Mitterrand voulait nommer Jacques Chirac, mais celui-ci pour ne pas s'user en terme d'image avant la présidentielle de 1995 avait décliné l'offre, laissant un soit-disant proche prendre le poste et le laisser préparer tranquillement l'échéance électorale. Mais Edouard Balladur va s'émanciper de la tutelle chiraquienne pour lui-aussi s'engager dans la bataille de la présidentielle. La droite va se déchirer entre partisans de Jacques Chirac (dont Dominique de Villepin) et Edouard Balladur (dont Nicolas Sarkozy). Il s'ensuivra des haines violentes dont les plaies ne sont toujours pas refermées en 2012.
Le problème pour les balladuriens en vue de la présidentielle, c'est qu'ils n'ont pas accès à la trésorerie du RPR (ancien UMP) dirigé par les chiraquiens et destiné à la campagne de Jacques Chirac pour 1995. les balladuriens n'ont que le pouvoir exécutif avec des postes-clés : entre autres François Léotard à la défense et Nicolas Sarkozy au budget avec comme directeur de cabinet Brice Hortefeux.
Il leur faudra donc trouver un trésor de guerre par un autre moyen. Chance pour eux, c'est une période frénétique en termes de gros contrats internationaux. Ventes de matériel militaire à l'Arabie Saoudite (dont des frégates), montant : 3 milliards d'euros. Vente de sous-marins au Pakistan, contrat Agosta, montant : 826 millions d'euros. Dans leurs côtés obscurs, ces contrats sont suspectés de commissions et de rétrocommissions, soupçons très forts des chiraquiens. Ces pratiques courantes sont illégales.
Car, l'existence de ces rétrocommissions supposées sera étayée par 15 millions d'euros d'origine suspecte lors de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, plus 5 millions pour la surveillance des meetings. Edouard Balladur expliquera qu'il s'agissait de dons et de ventes de tee-shirts. De telles sommes semblent bien au-delà de la réalité. De plus ces commissions et rétrocommissions lors des contrats ont forcément été validées par le ministère du budget dirigé alors par... Nicolas Sarkozy, également porte-parole de... Edouard Balladur dans la campagne présidentielle de 1995.
Au final, Jacques Chirac sera élu président.
La rancoeur est tenace. Il s'agira de punir les traîtres.
Charles Millon est nommé ministre de la Défense. Objectif : moraliser les grands contrats, vérifier s'il ya n'a pas eu de commissions ou rétrocommissions illégales. Les commissions sont légales et transparentes. Les rétrocommissions sont illégales et toujours cachées.
La DGSE remonte la trace des rétrocommissions par un circuit complexe.
Point névralgique de la future affaire de l'attentat de Karachi, dans le cadre du contrat Agosta, Jacques Chirac décide d'interrompre le versement des commissions, suite à l'enquête de la DGSE. Il en restait quelques unes à verser à plusieurs intermédiaires dont Ziad Takieddine, imposés par les balladuriens et ami de Jean-François Copé et Brice Hortefeux.
Brice Hortefeux et Ziad Takieddine
JF Copé et Ziad Takieddine
En 1995, en prévision des élections présidentielles, Ziad Takieddine a créé une société écran basée au Luxembourg, dans le but de ventiler les commissions suspectes. Montant transitant par cette société : 33 millions d'euros. Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget aurait validé la création de cette société. L'enquête menée montrera qu'une partie des fonds (retrocommissions) dans le contrat Agosta reviendra en France pour financer la campagne électorale présidentielle.
Le ministère du budget, Nicolas Sarkozy, était forcément au courant car c'est un ministère clé qui donne son aval à la signature des contrats comme engagement officiel de l'état.
Quand Charles Millon sera nommé ministre de la défense après la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995, il engagera à ses côtés un conseiller nommé... Marwane Lahoud, frère d'Imad Lahoud.
le 21 avril 1997, la gauche revient au pouvoir par le biais des élections anticipées demandées par Jacques Chirac. Le travail de nettoyage opéré par Charles Million et les chiraquiens est stoppé net.
Lionel Jospin est nommé premier ministre. Sous sa gouvernance, la France ratifiera la convention OCDE contre la corruption (2000) dans le but de moraliser les grands contrats internationaux.
Le 8 mai 2002, un bus transportant du personnel de la DCN (Direction des Constructions Navales) est victime d'un attentat à la bombe à Karachi au Pakistan. 14 personnes sont tuées dont 11 employés de la DCN. Ils travaillaient sur les sous-marins vendus sous la gouvernance d'Edouard Balladur par le contrat Agosta. L'attentat sera d'abord attribué à l'organisation terroriste Al Qaeda.
Six ans plus tard, deux journalistes rendent public un document qui contredit la version officielle. C'est le rapport Nautilus, un document ultrasensible. Il est retrouvé à l'occasion d'une perquisition. Il est dit que l'attentat a été commis suite à l'arrêt du versement des commissions promises par les balladuriens. Ce seraient des représailles de l'état pakistanais.
Le 19 juin 2009, Nicolas Sarkozy, Président de la République depuis deux ans, dément lors d'une conférence de presse. Il trouve ces accusations ridicules. Pourtant, un mois plus tard, l'assemblée nationale, sur proposition du gouvernement, vote l'extension du secret-défense, rendant encore plus difficile l'enquête sur l'attentat. Les documents sont plus difficiles à retrouver tout comme les lieux sont plus difficiles à accéder, faute d'autorisation légale.
Le juge Trévidic
Le juge Trévidic, travaillant au pôle antiterroriste, en charge d'une partie de l'enquête déclare :
"Dans les ventes d'armes, le secret-défense se confond avec le business plutôt qu'avec les intérêts fondamentaux de la nation. C'est une histoire d'argent, encore une fois."
Le pouvoir judiciaire se heurte à l'obstruction du pouvoir exécutif. C'est aussi la même chose pour le pouvoir législatif dont les commissions d'enquête ne peuvent avoir accès aux pièces nécessaires du dossier Karachi. En 2009, la mission d'information parlementaire, malgré ses demandes au gouvernement, n'obtiendra quasiment aucun document, en tous les cas, aucun des plus essentiels, uniquement des notes secondaires et sans vraiment d'intérêt. Le secret défense devient une véritable tarte à la crème. Le juge Trévidic évoque même "une zone criminogène quand on parle de contrats d'armement".
C'est une zone grise au coeur de l'état. Et comme on ne peut pas savoir, on peut tout imaginer.
Cela provoque la colère des familles des victimes face à l'obstruction systématique du gouvernement à fournir les documents nécessaires à la vérité.
Attentat de Karachi / 8 mai 2002
Ce sont toutes ces raisons qui font que Dominique de Villepin tombe dans le piège d'Imad Lahoud. Les listings deviennent la preuve que les chiraquiens avaient tant cherché. En fait, ce faux fabriqué par Imad Lahoud sera le chaînon manquant dans la guerre lancée neuf ans plus tôt au sein des droites françaises.
Jean-Louis Gergorin expliquera que, pour Dominique de Villepin, vu que sur les listings, se trouve le nom de Nicolas Sarkozy, il sera difficile de mener une enquête par les services intérieurs. Dominique de Villepin se demande si le juge d'instruction ne serait pas la meilleure solution.
Avec l'arrivée officielle de la justice, l'affaire Clearstream passera de l'ombre à la pleine lumière...
Imad Lahoud au palais de justice de Paris
Manipulations/ Episode 5 / Karachi et le trésor de guerre
(à suivre... Episode 6 : La république des mallettes)
Manipulations / Episode 6 / La république des mallettes
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