THEATRE DU PUZZLE

Halls de gare, aires d'autoroute sont des endroits  qui peuvent inspirer l'imaginaire théâtral.

Ce sont des lieux qui cultivent le paradoxe. A la fois, ils sont remplis d'une foule de passage, vivante, toujours en mouvement. En plus de la musique et des annonces au haut-parleur, de petits groupes parlent entre eux. Le silence n'existe pas. A cela, s'ajoutent le bruit des percolateurs, des rires parfois plus hauts que le niveau moyen des voix, les bruits de portes et les sonneries de téléphones portables.

Et pourtant, ce peut être aussi un désert.

Ce sont des lieux de moments éphémères où se croisent des voyageurs qui, pour la plupart, ne s'intéressent pas à ceux qui font la même chose qu'eux. Parce qu'ils ne sont pas là pour chercher  le contact avec quelqu'un. C'est la pause nécessaire dans le voyage. Dans les gares, c'est le lieu du départ ou de l'arrivée. En tous les cas, ce ne sont pas des lieux où l'on reste. Les gestionnaires de ces endroits offrent pourtant une multitude de raisons d'y passer plus de temps :

des cafés et des restaurants, des boutiques d'artisanat ou de gastronomie locale, des kiosques à journaux qui ressemblent plus à une épicerie culturelle, des jeux pour les enfants, en fait surtout des endroits pour consommer.

Chacun peut rester seul sans être gêné par un autre voisin, de passage lui-aussi. Être seul dans un lieu comme celui-ci est de l'ordre du normal. La foule autour ressemble alors à des dunes humaines qui sont mues par le vent chaud du voyage. On s'étonnera plutôt de celui qui viendra troubler la tranquillité d'un congénère assis un peu plus loin. Imaginons un instant une personne s'intallant sur la chaise en face de la nôtre, qui se met à nous sourire et nous demander :"Vous allez en vacances ? Ou chez des amis peut-être ? Faut dire que c'est la bonne période, il fait si beau." ou bien encore : "Je peux m'installer ?" (La personne s'installe sans attendre la réponse) "Moi, je pars chez ma soeur à Perpignan. ça fait du bien de couper le voyage par une petite pause. La route est longue depuis Lille. Oui, j'habite à Lille. Vous connaissez un peu ?" Non impossible. On le prendrait pour un fou. On se dirait qu'on n'a pas de bol. Qu'à chaque fois, c'est sur nous que ça tombe, ce genre de type un peu fêlé qui cherche à parler coûte que coûte à quelqu'un.

Dans ces lieux où personne ne se connaît, où personne ne cherche à se connaître,  tout devient possible dès que l'on imagine un dérèglement des rouages de l'habitude : une grève qui bloque des milliers de gens sur les quais,  un retard important d'un train, et ceux qui attendent n'ont pas d'autres solutions pour apaiser leur crainte que de s'adresser à quelqu'un, à mettre de l'humanité là où le monde tourne sans que personne ne se regarde. Des drames et des comédies hallucinantes, de petites chroniques de vies individuelles qui se retrouvent confrontées à celles des autres. Ces lieux sont remplis d'histoires potentielles que la littérature, le théâtre  et le cinéma ont abondamment utilisées. "Drôle d'endroit pour une rencontre"  avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu  par exemple, histoire sur grand écran d'un couple qui se déchire sur une aire d'autoroute. Le roman "Transit-Express" de Yves Simon évoque la rencontre de deux garçons qui se croisent dans une salle d'attente de gare. L'un va échanger son billet de train contre les clés de l'appartement de l'autre. Et voici chacun des deux personnages entré dans une autre vie, un peu la vie de l'autre, un autre destin.  

Les lieux éphémères comme les gares et les aires d'autoroute sont porteurs de milliers d'histoires que le théâtre peut raconter. Aussi les aéroports, les quais d'un port, les gares routières, les restaurants et les cafés, tous ces lieux où se croisent les gens sans avoir besoin de se connaître.