THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Je voudrais tant revenir / Yves Simon

 

"Je voudrais tant revenir"

de Yves Simon

Edition Le Seuil / 218 pages

 

Voici une belle histoire d'un grand écrivain, Yves Simon, sur la rencontre de deux écrivains, une nuit particulière où le plus âgé, un vieil homme, Karl, tel un père spirituel du second, jeune écrivain public, et amateur biographe, va lui confier un lourd secret et une mission.

 

C'est une nuit où les heures s'allongent dans un plaisir infini lors d'errances urbaines d'hôtel en bar, en appartement, de confidences intimes en évocations d'une enfance dans des époques tourmentées de guerres et d'exil. Comme si, en une nuit,  se tirait le bilan d'une vie pour l'un et la découverte de ses vérités secrètes pour l'autre, au travers des mots de celui qu'il admire.

 

Peuplée de mots et de silences, de regards et de présence, c'est une nuit lumineuse où deux voyageurs magnifiques regardent leur histoire personnelle à la loupe des yeux de l'autre.

Ce qui pourrait n'être qu'un huis-clos psychologique devient une belle réflexion sur le sens de la vie, sur l'amour, sur notre lien à la grande histoire, sur nos élans et nos petites lâchetés,  sur nos doutes et nos questions.

 

Yves Simon déploie tout son talent d'écrivain pour nous faire entrer dans ces histoires intérieures, dans la mémoire du monde, où sont incluses nos propres histoires. Chacun peut se retrouver dans des bribes de souvenirs et de pensée qui parsèment ce roman où les errances s'arrêtent au lever du jour, malheureusement. Il fallait la nuit pour éclairer ces vies secrètes, une nuit trop courte, pourtant avec sa fin nécessaire. Car toute chose a une fin, même la vie. Pourtant ces instants trouveront leur éternité dans le passage de la mémoire de celui qui part vers celui qui prend le relais. Nous sommes tous des passeurs de mémoire, comme des locataires momentanés des lieux et des choses que les autres nous ont laissés, et de ce que nous laissons à ceux qui nous succèdent.

 

Yves Simon nous convie dans son roman à nous installer discrètement dans le lien puissant qui unit un homme à la vie chargée avec son "fils" qui voudrait tant apprendre de lui, qui, en même temps, sans vraiment le vouloir, amènera son "père" vers un autre regard sur l'existence.  

 

Installez-vous à la fenêtre de chez vous, le soir sous les étoiles et laissez-vous embarquer dans la luminescence de ces mots qui parleront de votre propre nuit.

 

Un livre magnifique...

 

 

 

Extraits :

 

(Page 11)

Souvent, dans la rue, j'ai l'impression d'être nu. Pas transparent, nu, avec mon histoire écrite sur mon corps comme un roman indécent qui raconterait mes secrets.

 

(Page 23)

Vivre seul n'est pas la solitude, c'est vivre autrement, comme parler une langue étrangère sans le recours de la grammaire et de la syntaxe (...) Vivre seul, c'est se remettre à l'opacité des choses.

 

(Page 37)

Les écrivains sont des messagers venus nous rappeler que l'humanité est une colonie en sursis (...) trop d'images effacent les mots.

 

(Page 50)

C'est bruyant, vous savez, un coeur qui bat, ça insiste, régulier, c'est le vacarme de l'intimité (...) C'est bouleversant d'entendre battre le coeur de la personne que l'on aime. Ecouter et se donner une nouvelle raison de vivre.

 

(Page 78)

Vieillir, c'est apprendre à offrir. Pas à mourir. Alors je n'ai pas peur.

 

(Page 91)

L'écriture, c'est sans cesse ajouter des mots pour rendre nos pensées transparentes.

 

(Page 109)

La guerre, c'est la chair qui n'en peut plus.

 

(Page 120)

Nos chagrins ont une histoire, comme l'amour, comme la générosité, comme l'espérance (...) Cette énigme ? Celle de l'enfermement de nos jugements, avec l'incroyable difficulté qu'il y a de sortir du temps qui les a fait naître.

 

(Page 146)

Des millions d'hommes et de femmes s'éloignent (...) de là où ils sont nés, de là où ont vécu leurs ancêtres. Ce qu'ils vivent n'est pas un déménagement mais une mort liquide qui opère en plein cycle de vivant (...) On abandonne qui on fut avec la peur au ventre de pénétrer des territoires où l'on est rien. Fuir la terreur invisible pour entrer dans celle plus discrète de l'indifférence (...) l'exilé n'est nulle part ni chez lui, ni ailleurs, il erre en apnée dans un milieu sans air qui n'est même plus la terre.

 

(Page 162)

De quels impénétrables vides sommes-nous faits pour sans cesse évoquer de qui et de quoi ils auraient pu se remplir ?

 

(Page 181)

Nous aimons la vie parce que nous sommes habitués à l'amour, jamais à la souffrance.

 

(Page 193)

Les romans que tu portes dans ta mémoire ne doivent jamais devenir un fardeau (...) L'essentiel est de trouver (...) une patrie de mots, une nation d'écriture...

 

(Page 195)

L'art est un duel entre le réel et l'impossible (...) être artiste, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été ne puisse venir. Puis l'été vient... Et il ne vient que pour ceux qui ont su attendre, aussi tranquilles que s'ils avaient l'éternité pour eux.  

 

(Page 201)

Au Japon, on dit que les écrivains sont des perce-neige, ils fleurissent et viennent embellir le monde lorsqu'il est glacé.

 

(Page 215)

Le destin, c'est un rendez-vous avec la vie ou avec la mort. C'est en s'y rendant qu'il nous faut décider ce que l'on a choisi de rencontrer.



24/07/2010
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