THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

BD / "Reportages" de Joe Sacco

 

REPORTAGES

de Joe Sacco

Editions Futuropolis 

2011 / 195 pages

Traduction de l'américain par Sidonie Van der Dries

sauf pour la chapitre "Les Indésirables" par Olivier Ragasol

de Courrier International

 

Joe Sacco est un journaliste américain, reporter pour différents médias comme le Times de New-York. Vous ne trouverez pas d'articles ou de photographies de ses voyages. Joe Sacco raconte ses reportages... en bandes dessinées.

 

N'utilisant pas les mots ni les photos pour décrire ce qu'il présente aux lecteurs, il devient de manière subjective assumée, à la fois décorateur, costumier et directeur de casting. Il complète la préparation de son travail par des recherches dans des livres, dans des archives, sur Internet pour composer personnages et décors de façon à ce que l'ensemble correspond à la réalité qu'il décrit.

La bande dessinée donne une vision vivante du reportage, un peu comme une oeuvre de cinéma posée sur une page de papier. Chaque détail du dessin reproduit des réalités de la vie des pays et des gens.

 

C'est un travail complexe qui nécessite en amont, avant la composition sur des planches dessinées, un apport d'informations très nombreuses. Pour cela, Joe Sacco interroge les personnes qui ont été présentes lors des évènements relatés, prend des clichés photographiques des lieux et des paysages. Il recherche les plus petits détails qui feront la véracité du dessin.

 

Le camp de réfugiés de Khan Younis

 

Il en résulte une sensation très forte. Une sorte d'immersion dans le réel par la puissance du dessin. La bande dessinée devient un fabuleux vecteur pour faciliter la compréhension de mondes qui nous sont culturellement étrangers et lointains.

 

Joe Sacco, dans son travail, s'interroge toujours sur la place du journaliste dans ses reportages, qu'il soit photographe, dessinateur ou de la presse écrite. Comme le disait son confrère Edward R. Murrow :"Nous sommes tous prisonniers de nos propres expériences. On ne peut pas éliminer les préjugés, seulement les identifier." Le journaliste est un témoin qui cherche la plus grande objectivité possible, la plus grande impartialité possible, même si cela est quasiment impossible tant chacun regarde le monde par le prisme de sa culture dominante. Il cherche la part de l'un et celle de l'autre, pour mieux comprendre.

 

Le journaliste sait que sa présence ne peut pas passer inaperçue. Parce que les gens le savent témoin pour d'autres ailleurs, cela modifie, même légèrement, les comportements. Joe Sacco écrit que "le journalisme est un processus pratiqué par un être humain, avec toutes les imperfections que cela implique". Et pourtant, cela n'enlève rien, bien au contraire à la force des récits, comme ceux de Joe Sacco qui est en accord avec le journaliste britannique Robert Fisk quand il dit :" Le reporter devrait être neutre et impartial, du côté de ceux qui souffrent". C'est exactement cela qui apparaît à la lecture des planches de Joe Sacco.

 

 

Les clandestins indésirables 

 

Les éditions Futuropolis ont eu la très bonne idée de rééditer dans un ouvrage unique, six de ses reportages dans un livre éponyme.

"Reportages" nous entraine de la Palestine à l'Inde, de l'Irak à l'Afrique des clandestins, de la Tchéchénie aux procès de crimes contre l'humanité. C'est beau et prenant. Même par le dessin et les bulles, surtout par le dessin et les bulles, la vérité humaine éclate au grand jour.  

 

Tchéchénie

 

 

Check-point israëlien d'Abou Holi qui séparait Khan Younis du sud de la bande de Gaza, dessiné par Joe Sacco.

 

Le check-point d'Abou Holy en photo

 

 

Joe Sacco

au sujet de son livre "Reportages"

 

"J'ai choisi moi-même les histoires que je voulais raconter, et cette sélection devrait faire apparaître assez clairement mes sympathies. Je me soucie surtout de ceux qui ont rarement l'occasion d'être entendus, et ne crois pas qu'il m'incombe de contrebalancer leurs voix avec les excuses bien ourdies des puissants. Ces derniers sont souvent excellemment servis par les médias traditionnels et les organes de propagande. Les puissants doivent être cités, c'est vrai, mais afin de mesurer leurs assertions contre la vérité, et non pour obscurcir celle-ci.

Si je suis convaincu que le pouvoir a tendance à faire ressortir le pire des individus, j'ai observé que ceux qui sont le bien moins lotis ne se conduisent pas forcément de façon irréprochable, et je me suis efforcé d'en témoigner."

 

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De Joe sacco, vous pouvez aussi lire :

 

 GORAZDE

La guerre en Bosnie Orientale 1993-1995

De Joe Sacco

Editions Rackham / 2001-2004 / 227 pages

Traduit de l'américain par Stéphanie Capitolin et Sidonie Van der Dries

 

Pendant la guerre de Bosnie, entre 1992 et 1995, alors que les médias se focalisaient sur Sarajevo, les forces serbes se déchaînaient sur les populations musulmanes des parties moins accessibles du pays, comme dans l'enclave de Gorazde. Elles se livreront presque en toute impunité (tandis que les nations Unies tergiversent), à une véritable épuration ethnique. Gorazde est la seule ville et enclave qui survécut à cette guerre.

La BD de Joe Sacco "raconte l'histoire d'une ville qui s'apprêtait à mourir, mais c'est aussi l'histoire des premiers pas de cette ville dans la direction de la vie."

Sublime et émouvant.

 

Interview de Joe Sacco en 2001

à l'occasion de son album "Gorazde"

 

Egalement de Joe Sacco :

 

 

GAZA 1956

en marge de l'histoire

de Joe Sacco

Traduit de l'américain par Sidonie van den Dries

Editions futuropolis

Prix france-Info 2011 au festival de la BD d'Angoulême

Meilleure bande dessinée de l'année 2010 / magazine Lire

 

C'est l'histoire oubliée de la brève occupation de la ville de Khan Younis par l'armée israëlienne en novembre 1956 pendant la crise du canal de Suez alors que la bande de Gaza était sous autorité égyptienne.  La BD de Joe Sacco évoque les histoires tragiques de femmes et d'hommes tués dans leur maison, mis en rang dans les rues pour être exécutés par les soldats israëliens.

Abd El-Aziz El-Rantisi, haut-fonctionnaire du Hamas, tué récemment par un missile israëlien, avait 9 ans à cette époque. De ces évènements tragiques, il dira à Joe Sacco et Phil Hedges qui l'inerrogeait sur l'occupation de Gaza en 1956 :" J'entends encore les gémissements de mon père, je revois les larmes qu'il a versées sur son frère. Je n'en ai pas dormi pendant des mois... Cet épisode a laissé dans mon coeur une plaie qui ne pourra jamais cicatriser. Le seul fait de vous raconter cette histoire me donne envie de pleurer. On n'oublie jamais des actes pareils (...) (Ils) ont planté la haine au fond de nos coeurs."

Comme quoi la violence guerrière d'état, comme toutes les formes de violence même individuelles, n'apporteront jamais ni la paix, ni la sécurité des peuples. De nombreux  enfants et de jeunes des territopires occupés ont rejoint les mouvements extrêmistes palestiniens suite à la mort de proches, aux destructions de leur maison et à cette haine viscérale de l'israëlien considéré comme destructeur. La paix ne peut venir que de l'envie réelle de paix et de la considération de l'autre comme étant un humain à part entière. La haine ne peut réveiller que la haine.

La BD de Joe Sacco est un élément de réflexion sur un de ces conflits majeurs depuis le milieu du XXème siècle.

A lire absolument pour mieux comprendre le conflit israëlo-palestinien, tout comme on peut relire "les identités meurtrières" de  Amin Maalouf qui éclaire tout autant sur la montée des extrêmismes (lien direct vers l'article : Les identités meurtrières / Amin Maalouf ) , aussi "L'Attentat" de Yasmina Khadra, tout aussi évocateur et d'une clarté évidente.

 

 

Interview de Joe Sacco sur une TV allemande pour "Palestine 1956"



30/11/2011
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