THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Prisons invisibles / Pascal Marchand

 

La fin de l’été 2010 est sombre.

 

Mardi 7 septembre. Journée pluvieuse et accès de fièvre. Refus de travail. Un STOP à une logique implacable qui fait prendre des vessies pour des lanternes, d’habiles manœuvres de haute finance pour occulter les réponses véritables aux questions existentielles des peuples.

 

A l’heure où la révolte gronde, c’est la pluie qui s’invite aussi sur les pavés des marcheurs excédés, des gens en colère qui ne sont ni des bobos milliardaires, ni des militants bornés qui cherchent une revanche en vue d’un pouvoir à reprendre. Même si un petit nombre l'est peut-être (et ça n'a aucune importance d'ailleurs, car eux aussi ont le droit d'être en colère s'ils partagent les mêmes valeurs), l’immense majorité n’est qu’une foule d’humains inquiets pour leur devenir et pour celui du monde, atterrés par la destruction massive des valeurs qui fondent la relation humaine. Ces menaces objectives et ces actes aveuglés des puissants pourraient être considérés comme des crimes contre l’humanité, tant chacun peut sentir dans son quotidien les dégâts sur notre existence.

 

Le pire n’est peut-être d’ailleurs pas là où on croit le voir, dans ces images médiatiques que l’on reçoit en pleine tête à longueur de journée : les collusions entre gens du haut monde et les milieux de l'argent, les luttes intestines pour le pouvoir, les mensonges d’état.

 

Le pire est dans l’invisible. Dans le  cheminement pernicieux qu’on tatoue dans les esprits manipulés.

 

Les mots « sécuritaire », « peur », « étranger », « mal », « délinquants », et toujours « roms », « maghrébins », s’amalgament dans une définition volontairement plutôt vague. Ils finissent par devenir des valeurs indiscutables et indiscutées où tout se mêle sans que rien ne se comprenne, où chaque mot pris séparément fait illico écho à un autre. Ainsi le rom devient l'étranger délinquant qui fait le mal et qui fait peur, comme le maghrébin, forcément islamiste extrêmiste, potentiellement poseur de bombes et destructeur de tours.

Le simplisme dans ce qu'il a de plus manipulateur et de plus destructeur pour le lien entre les hommes.

 

Il en est de même du monde de l'argent. C'est très simple, même un enfant pourrait comprendre : pour maintenir une retraite  dans l'avenir, il n'y aurait qu'une seule solution, travailler plus longtemps. Il n'y aurait pas d'argent ailleurs que dans les poches de ceux qui travaillent. L'argent de la bourse fait tourner l'économie, l'argent des salaires paie les retraites. Tout est simple !

Dans cette même logique simpliste, le fonctionnaire enseignant est bien évidemment soit en grève, soit en vacances, il est corporatiste et pense d'abord à lui avant de penser aux enfants. Quiconque a travaillé dans une classe sait de quoi il en est et sait combien cette affirmation est fausse et méprisante pour une profession qui demande beaucoup d'exigence et de probité.

 

L'objectif est comme toujours d'opposer les gens au lieu de les rassembler. Diviser pour mieux régner.

 

Et on veut nous faire croire qu'on ne peut pas faire autrement, qu'on ne peut pas penser autrement.

 

Il n’y aurait donc qu’une seule logique du monde ? Avec ses éternels dominants et ses éternels dominés ? Avec ses éternels riches et richissimes, et ses sempiternelles cohortes de peuples asservis ? Avec les bons et les méchants ? Avec le bien qu'on définit pour nous et le mal qui nous menace et qu'on définit aussi sans nous demander notre avis ?

 

Quelques miettes à distribuer de ci de là pour calmer les affamés, les esprits chagrins, les penseurs retors, et le monde tourne bien. Tandis que les uns se gavent et se congratulent à coup de légion d’honneur, de subprimes et de stock options, les autres n’ont plus qu’à admirer ce spectacle qui ne les concernent plus (si tant est qu’un jour il les a concernés, si tant est qu'ils en aient envie), le tout sur un bel écran bleuté qui égaie les tristes soirées d’après travail (quand il y en a).

 

Et le tour est joué.

Les petites gens de partout ont enfin accepté l’inacceptable. Et c’est entre eux qu’ils se combattent à présent, entre les pour et les contre, entre ceux qui ont peur et ceux qui refusent la peur, entre les défaitistes et les révoltés.

Pendant ce temps, là-haut, dans les bureaux rutilants du pouvoir, on peut dormir plus tranquilles.

 

 

En bas, à force de regarder ce qui nous entoure par le prisme des seules valeurs occidentales, économiques et financières, on s’englue dans l’incompréhension du monde, dans l’incompréhension des autres, dans la méfiance à l’égard de toute personne qui ne vit pas comme nous, qui ne pense pas comme nous, dans l’impossibilité de sortir des prisons que l’on s’est fabriquées soi-même.

 

Personne n’est à l’abri de ces menaces sourdes.

 

Mondes matériels ou mondes spirituels qui jugent au lieu d’écouter, pseudo religions qui s’approprient l’idée du divin ou la dimension de l'au-delà, pseudo démocraties qui enchaînent l’humain dans des vérités mensongères, dans des lois qui conservent le monde tel qu'il est, qui ne changent pas le rapport de domination. Besoin de contrôler tout un chacun, d’ausculter la vie de l’autre comme une menace pour la sienne. On finit par s’enchaîner soi-même en se créant ses propres œillères.

 

S'opposer à ces prisons invisibles peut prendre de multiples formes : par des luttes directes, par le débat d'idées, par le mouvement de la pensée, aussi par l'art, vecteur généreux de ce que contient l'âme humaine.

 

L’art a ce pouvoir formidable de briser nos propres barreaux, d’ouvrir l’horizon vers d’autres paysages aux pensées qui nous sont étrangères et dont on a beaucoup à apprendre. Et c’est sans doute aussi ces « voyages » qui nous aident à sortir des geôles dans lesquelles on s’était enfermés, à reconstruire autrement le monde social nécessaire, un monde solidaire.

 

L’art ne peut rien tout seul.

Comme ces marches manifestantes sous le soleil ou sous la pluie, comme les petites résistances un peu partout dans les quartiers, dans les associations, dans les campagnes, comme la défense d’un type qui n’a rien fait de mal mais qu’on veut renvoyer, comme ces moments où les humains se retrouvent ensemble sans s’exclure, l’art participe  à ce mouvement heureux où les gens se reconnaissent au lieu de se combattre, où ils se comprennent au lieu de se fuir.

 

Le monde a besoin de confiance et de mutualité, de respect et d'écoute, de reconnaissance. 

Il n'a pas besoin d'affrontement stérile et de stigmatisation simpliste, pas besoin de peur orchestrée. Cela n'amène qu'à la violence sous toutes ses formes, autant dans les relations sociales que dans les relations individuelles.

 

 

 




07/09/2010
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