THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Arrêter de fumer, c'est aussi mourir à petit feu / Pascal Marchand

ARRÊTER DE FUMER

C’EST AUSSI MOURIR à PETIT FEU

 

Après les mots, les photos…

 

 

Le tabagisme est un problème de santé publique, ça c'est clair.

Les mots ne suffisaient pas, on rajoute maintenant les photos.  A l’image de fumeurs qui achètent désormais un cercueil à chaque fois qu’il rentre dans un débit de tabac.

Il y a pourtant quelque chose d’étrange. Comme une manière très manichéenne d'aborder le problème du tabagisme. Les gens savent qu’ils risquent leur vie à fumer, depuis très longtemps. En dépit de cela, ils continuent à le faire, au moins en aussi grand nombre si ce n’est davantage. Aucune question n’est posée officiellement sur ce qui motive les fumeurs.

Si l’augmentation du prix des cigarettes suffisait, si les campagnes pour une meilleure santé publique suffisaient, il y a longtemps qu’on aurait trouvé une solution au problème du tabagisme. Les fumeurs savent qu’ils consomment une drogue licite comme les alcooliques savent qu’ils boivent une drogue licite.

 

Et si, au lieu de chercher les moyens de l‘endiguer, on cherchait d’abord à comprendre les « consommateurs-drogués ».

En partant du point de vue des consommateurs, on apprend aussi le pourquoi de l’impossible renversement de tendance. Peut-être trouverait-on des réalités qu’il est bon de cacher, pas seulement la désormais sacro-sainte taxe pour l’état.

Dans une société où les êtres humains sont mis en cage, où la musique du quotidien est rythmée  par le cling-cling de la monnaie incontournable, le bling-bling des classes dominantes qui paradent au nom du « si-on-veut-on-peut » (si facile à dire quand on a les moyens de le faire), la vie devient une concurrence dans laquelle il n’y aurait pas de place pour tout le monde, à l’échelle nationale et internationale. Le défaitisme ambiant déclare tout de go qu’il n’y a pas d’autres alternatives.

 

 

Ainsi les populations devraient se résoudre à accepter qu’une minorité vive allègrement sur le dos d’une majorité qui souffre au quotidien. On croirait presque entendre les échos des sociobiologistes américains qui, au siècle dernier, voulaient comparer le monde des hommes au monde des fourmis, une existence naturellement avec des forts et des faibles, avec des dominants et des dominés, un discours qui, à un degré moindre, nappé de bons sentiments hypocrites, rappelle les pires moments de l’humanité. Les démocraties agissent sans le dire comme les dictatures. Au lieu des armes et des massacres assumés, cela se passe par le travail (et le non-travail), l’exclusion et l’empire de l’argent, par l’auto-culpabilisation de ceux qui ne trouvent pas leur place.  

 

Dans une société sans beaucoup d’espoir (cultivé par des dirigeants qui pratiquent la pensée unique en faisant semblant de la condamner, surtout pour renforcer leur pouvoir), une majorité de gens  a baissé les bras, jeunes et moins jeunes. La peur du cancer à coups de cigarettes n’est rien au côté du vide comme seule perspective de vie.

 

 Eboli dans le film de Francesco Rosi

 

Il me revient une idée développée dans « Le Christ s’est arrêté à Eboli », le très beau livre de Carlo Levi, magnifiquement adapté au cinéma par Francesco Rosi avec Gian Maria Volonte dans le rôle de l'écrivain condamné à trois ans de résidence forcée dans une petit village perdu de Lucanie à cause de son opposition au fascisme. Dans une région oubliée du monde, y compris de Dieu, il regarde le désespoir de la population dont certains partent à la guerre : mourir ici comme un chien ou mourir ailleurs sur un champ de bataille, c’est du pareil au même.

Pour les populations du XXIème siècle, engluées dans une crise structurelle du capitalisme dont on ne voit pas d’échappatoire, mourir de la cigarette ou mourir désespéré sans fumer, c’est du pareil au même. Y compris avec des images choquantes sur des paquets de tabac.

Que reste-t-il alors ? Lutter pour changer la société ? Bien sûr. Et c'est même nécessaire. Car, en plus des acquis sociaux déjà obtenus que les humains sont toujours allés chercher, il reste beaucoup à faire.  De plus, la lutte collective amène à créer des liens sociaux, des liens d'humain à humain, pas seulement de l'ordre du matériel.

Mais, pour ceux qui fument en réponse au manque de perspective de vie,  ce n’est pas suffisant pour arrêter de fumer. L’état élu doit aussi jouer son rôle de fédérateur, de rassembleur des gens au lieu de les diviser, d’ouvreur de mondes coopératifs où tous les gens ont leur place au lieu de la compétition et de la concurrence.

Peut-être même peut-on penser que les fumeurs en général, quelle que soit la raison qui les a amenés à fumer, ont fait ce choix  comme un substitut à un manque, aussi existentiel. La société moderne que nous connaissons, basée sur la consommation et l'amas du gain, sur la matérialité contre la pensée et l'être, ne fait que renforcer l'emploi de substituts face au vide de sens de l'existence, antidépresseurs et médicaments compris.

Il me revient cette pub pour une marque de chaussures qui vend par internet, où une femme, au grand désespoir de son mari, a transformé l'appartement en musée de la chaussure.

Aussi, cigarrettes, alcool, chaussures, biens en tous genres que nous amassons, ne sont-ils pas pas non plus des signes de ce mal-être général qui pose la question du sens de notre vie sur Terre ?

Plus nous entretenons des liens étroits avec la sociéte de consommation, plus nous nous éloignons d'une résolution du problème du tabagisme. Plus nous acceptons les diktats de la société de l'argent, plus nous avons besoin de substituts pour échapper au vide de sens.

 


Le problème du tabac est aussi lié aux problèmes généraux de la société. Il est impossible de régler le problème du tabagisme si on ne touche pas aux déséquilibres sociaux, affectifs, existentiels dans la communauté humaine.

Comme toujours, les réponses sont la répression, les pressions financières mais jamais l’écoute  réelle de ceux qui vivent au quotidien l’absence de perspectives.  Comme toujours, on propose des réponses hypocrites comme des petits pansements inutiles sur les plaies béantes de la société. Alors, oui, pour un certain nombre, sans doute beaucoup, arrêter de fumer, c’est aussi mourir à petit feu, voire de mort violente. Car, imaginons un monde sans tabac, dans les circonstances telles que nous les vivons, pas sûr qu'il soit si doux que ça.

 

Pascal Marchand



20/04/2011
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