THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Je m'appelle Mamadou Dupont, pas Ducon / Pascal Marchand

12 février 2012

 

JE M'APPELLE MAMADOU DUPONT, PAS DUCON

2ème chronique de Mamadou Dupont

texte de Pascal Marchand

12 février 2012

 

 

Je l’avais presque oublié, mais les vieux démons se sont réveillés un matin, il n’y a pas très longtemps quand j’écoutais la radio, comme tous les matins, devant mon petit-déjeuner.

 

Un journaliste relatait l’intervention d’un ministre je crois. Oui, c’est ça : un ministre. Un ministre de l’intérieur d’ailleurs, un certain M. Guéant. Un gars qui aime tellement cet intérieur dans lequel il se meut - Meuh ! Meuh ! – qu’il trouve les autres, extérieurs pour lui, bien peu ragoûtants.

Problème pour moi, Mamadou Dupont, c’est que j’ai en moi quelque chose de ces extérieurs et je ne peux pas les cacher (si tant est que je veuille le faire), car ces extérieurs sont visibles sur ma peau.

En clair, je suis quelque peu bronzé, sans jamais être passé par des séances d'UV. Disons que ce sont des UV génétiquement paternels.

 

 

Mamadou Dupont dans "L'Homme en Costard Cravate qui lit son Journal" (2004)

 

Il paraîtrait que la civilisation d’où je viens (en partie, car je suis né et ai vécu en France) serait inférieure aux autres. Un président français, un certain M. Sarkozy, l’avait déjà dit en juillet 2007 à Dakar : «  (...) Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire (...) Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir, jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique (...), il est là."». Ça a été redit ensuite à plusieurs reprises, sans mots, par charters et par expulsions, par centres de rétention et par phrases de « bon sens » qui disent des choses comme : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » comme si ceux qui disaient cela étaient extérieurs à cette misère, comme s’ils y étaient pour rien. C’est ce même « bon sens », approuvé par le même président français, qui dit avec évidence que toutes les civilisations ne se valent pas.

 

Si je comprends bien, d’emblée, quoi que je fasse, quoi qu’il advienne, même si je faisais l'effort de croire en une pseudo égalité, je ne vaudrais pas l’homme qu’est le ministre de l’intérieur et son mentor en poste à l’Elysée. Car, oui je l’assume, je viens d’une civilisation à priori inférieure selon eux mais qui m’a apporté une différence qui est aussi une richesse humaine, comme toutes les différences chez qui que ce soit apportent une richesse à chacun et à tout le monde.

 

      

 Exposition coloniale à Paris                     Bombe sur Nagasaki le 9 août 1945

 

Quand je replonge dans l'histoire de cette soit-disante civilisation supérieure, en parallèle aux progrès technologiques, à la sécurité sociale (bien mal en point soit dit en passant), je revois la Shoah, l'esclavage, l'inquisition, la bombe atomique, deux guerres mondiales... On arrête là la liste ? Car j'en ai plein d'autres du même acabit.   

 

 

Quand je replonge dans l’histoire du monde, je revois aussi ces images de la colonisation et de la néo-colonisation, ce pillage de pays dits pudiquement « en voie de développement » pour ne pas dire « pays de seconde zone », un pillage à destination de l’Occident. J’entends dans ma tête la chanson de François Béranger « Mamadou m’a dit, Mamadou m’a dit, on a pressé le citron, on a jeté la peau… ». Et quand je relis certains livres, certains articles de journaux, je confirme que ces gens qui donnent des leçons d’humanité et de civilisation font partie intégrante de la production de cette misère et cette exclusion, avec en conséquence le développement des communautarismes comme seuls recours à l'identité.

 

 

 

Ces derniers jours, alors que sévit une vague de froid, une publicité est diffusée sur France-Info, celle d’une association caritative dans laquelle on entend une comptine. Un homme chante d'une jolie voix très douce :
« La France est riche, la France est riche… en pauvres »

évoquant les gens qui vivent sans chauffage pour pouvoir manger sans même être sûrs d’y arriver, les gens qui meurent parce qu’ils n’ont pas de logis. Car ce n’est pas le froid qui tue, c’est la pauvreté et la misère.

 

 Evacuation d'un camp de roms en France

 

Et la misère n’est pas une question de couleur de peau, de civilisation ou de culture. 

La notion de civilisation et de culture n'a rien de figé. Tout est en mouvement comme la vie, avec ses hauts et ses bas. Les civilisations indiennes, arabes ou chinoises ont apporté la science, la connaissance alors que la France baignait encore dans un Moyen-Âge obscurantiste.

Les cultures se mêlent et s'enrichissent les unes des autres par la migration des peuples. Et ce depuis l'origine de l'homme. L'humain sédentaire ad vitam eternam, c'est de la pure fiction. Comme les animaux, l'homme s'est déplacé, s'est reproduit avec des congénères un peu différents, s'est adapté à d'autres conditions de vie et a même provoqué des changements génétiques de son espèce. Les français comme les autres peuples du monde ne sont, à ce jour J d'aujourd'hui, qu'une étape provisoire dans la transformation de cette communauté qu'on appelle la France. Pas meilleure et pas pire qu'une autre communauté d'humains. Une civilisation pas meilleure et pas pire qu'une autre civilisation.

On peut préférer une civilisation à une autre, mais en aucun cas juger d'une valeur supérieure ou inférieure. 

 

 

Pour ce dont nous parlions plus haut, des civilisations soit-disant inférieures, il s'agit surtout d’exploitation d’une minorité sur une majorité, à « l’intérieur » et à « l’extérieur », partout dans le monde, une exploitation maquillée sous les vocables de "patrie", de religion, de "priorité nationale", et de "bon sens". Alors, oui, sans être nazi ou exterminateur, certains propos peuvent laisser le champ à la banalisation de ces horreurs. Accepter que certaines cultures, certaines civilisations auraient moins de valeur que d'autres, c'est accepter la domination d'une civilisation sur une autre. Et si ce n'est pas cette idée qui a voulu être exprimée, l'ambigüité est telle qu'elle ouvre la porte à tous les excès, même les pires, les plus abominables et les plus barbares.

 

Dans mon éducation "civilisée", j'ai toujours entendu dire que les mots ne sont pas innocents. Que derrière les mots, il y a des idées, des volontés, voire peut-être (sans doute ?) des manipulations.

 

1492 / Retour de Christophe Colomb / Début du génocide indien en Amérique.

 

Alors ses grands discours électoralistes sur les « valeurs » et la « civilisation » rendent mon petit-déjeuner indigeste. Ça me donne des envies de crier, parfois de vomir. Des envies aussi de retrouver ma dignité d'homme et rapidement ma citoyenneté d’électeur pour que cet autre homme, ministre de « l’intérieur » et ses comparses, mentor et congénères, se retrouvent à « l’extérieur », qu’ils cessent de cracher leur vénin vers le peuple qu'ils méprisent, cessent la chasse aux pauvres et aux chômeurs, et cessent de se croire le centre du monde.

 

Je m’appelle Mamadou Dupont, pas Ducon.

 

 La première chronique de Mamadou Dupont  a été diffusée sous le titre "Je m'appelle Mamadou Dupont"

lien direct vers les articles :

Je m'appelle Mamadou Dupont / Pascal Marchand

Je m'appelle Georges Domborynski / Pascal Marchand

Lupus Maritimus et Chaperonne / Pascal Marchand

"Léo Vosguth le réfractaire" / Pascal Marchand

"Paul Vosguth le réfractaire" / Pascal Marchand

 

 

 



12/02/2012
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