THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Lupus Maritimus et Chaperonne / Pascal Marchand

Texte inspiré de cette photographie de Philippe Nouvier

"Le Petit Chaperon Rouge"

 

 

Vous pouvez lire ce texte en écoutant

"Faith in you" de Jean-Luc Ponty

 

 

 

LUPUS MARITIMUS ET CHAPERONNE

 

 

 

Les temps ont bien changé. L’époque des bons vieux loups
bien méchants et des petits chaperons rouges inconscients est révolu.

 

Je me souviens, on écarquillait les yeux quand le loup effrayant pénétrait dans la petite chaumière au fond de la forêt, se gobait la grand-mère comme un œuf dur, puis en faisait autant du petit chaperon rouge en guise de dessert à la cerise. On était à peine rassuré quand en conclusion, on nous racontait qu’un gentil bûcheron (depuis ce temps, j’ai toujours pensé que les bûcherons étaient gentils), qu’un gentil bûcheron donc qui passait par là, ouvrait le ventre du loup endormi pour en sortir indemnes et Mère Grand et Chaperon Insconcient qui lui sautaient aussitôt au cou. Toutes les deux devaient être bien peu ragoutantes, couvertes de morceaux d’entrailles et de viscères d’un lupus horribilis. 

 

Imaginez les vêtements du bûcheron qui, en guise de récompense, se voit dans l’obligation d’aller passer ses affaires à la machine à laver, avec la quasi certitude que la plupart des tâches rougeâtres et violacées ne partiront pas. A cette époque, on ne connaissait pas encore le détachant, l’eau écarlate ou la javel concentrée.  

Pourtant, on y croyait dur comme fer à cette histoire de loup méchant et de petite fille qu’une mère indigne envoyait toute seule dans la forêt. Et pour ce qui était du père, nulle parole, nulle mention. Soit il s’en foutait complètement, grand salopiaud d’égoïste, soit il avait fui la maison, ce qui ne valait pas mieux. On ne se posait même pas la question de cette famille abominable qui laissait la bonne grand-mère si bonne cuisinière croupir au fond d’une forêt à la merci d’un loup affamé. 

Non. On frissonnait simplement de plaisir quitte à en cauchemarder la nuit. Mais que c’était bon !

 

Où sont les loups maintenant ?

Il en reste quelques uns, dans les hauteurs alpines.
Froussards de chez froussards qui se débinent dés qu’un randonneur inoffensif s’approche d’un  peu trop près.

Où sont les Chaperons Rouges qui écoutent encore leur mère sortir des inepties et s’en accommodent comme si c’était la plus géniale des idées ?

Les temps ont bien changé Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs. Il n’y a plus de loup comme au bon vieux temps, il n’y a plus de chaperon rouge.

 

 

Pourtant, le Loup est vivant, bel et bien. Un Loup extraordinaire. Un Loup immense dont l’haleine pleine d’écume se répand sur les rivages du monde entier. Personne ne sait qu’il s’agit d’un loup. Sur les cartes géographiques, il porte des noms d’océans et de mer pour mieux se dissimuler.
Mer de Chine, Océan Indien, Mer de Tasmanie, Océan Pacifique, Mer de Norvège,
Océan Atlantique, Mer  Noire, Mer Morte, Océan Glacial Antarctique, Mer des Caraïbes. Partout, c’est la même chose. Ses hurlements déferlent en vagues nées de la houle. Jusqu’à des dizaines de mètres de haut parfois. Des gueules d’eau et d’ivresse en rouleaux incessants qui viennent fracasser sable et roches, galets et falaises.

Loup crie le nom d’un chaperon perdu depuis des siècles. Il l’appelle sur les grèves de tous les continents. Et il ne voit que des corps qui jouent et s’amusent d’une puissance qu’ils ne comprennent pas. Parfois dans des accès de colère incontrôlables, Loup surgit en une montagne d’eau hors norme et ravage les fragiles constructions humaines qui ont poussé sur les rives, entraînant dans sa quête courroucée  des milliers de corps à la vie perdue. On se dit alors que ce sont les caprices de la nature, vaniteux matérialistes que nous sommes. Que nous comprendrons un jour et que nous saurons anticiper  ces catastrophes « naturelles » grâce aux balises ancrées ici et là dans les zones dites « les plus à risques ».

 

Mais Loup s’en moque. Il en rigole même, en grands éclats. A en pleurer. Ses larmes d’hilarité nous éclaboussent quand nous pénétrons dans son corps marin après une course effrénée sur la plage. On joue, il rit. Et il cherche toujours le chaperon perdu. On devrait dire la chaperonne perdue. Car c’est d’une fille qu’il s’agit, et, depuis le temps, d’une femme qui a conservé son éternelle jeunesse. Elle a troqué sa vieille cape et son foulard qui la faisait ressembler à une vieille bonne femme rabougrie contre une jolie robe de soie légère qui flotte au vent comme ses cheveux qu’elle n’attache plus. Et elle danse sur une plage de sable fin. Loup la voit enfin. Il s’arrête un instant. Hésite. La regarde intensément. Il voudrait hurler son bonheur des retrouvailles. Mais il sait ses cris capables des pires catastrophes. Il se souvient, quand il a jeté sa colère sur les plages d’Extrême-Orient, les gens de là-bas l’avaient baptisé Tsunami, un mot aux connotations monstrueuses, pour Lui qui n’est qu’un Loup attentionné pour son chaperon, ou plutôt sa rouge chaperonne. Alors, face à Elle enfin, Il se laisse glisser sur le sable, juste pour humidifier ses jolis pieds nus, et pour qu’elle danse encore. Elle l’a reconnu, son Loup rien qu’à Elle. Chaperonne sourit et danse de plus belle. Lui joue alors sa musique des marées, en rythme et en ressacs, en flux dièse et en reflux de notes noires, en écume de notes blanches, un concerto en La majeur pour La femme qui est depuis toujours son égérie.

 

On a raconté partout qu’il voulait la dévorer. N’importe quoi ! Des yeux oui, il la dévore, mais sa gueule n’est capable que de mots d’amour pour Elle, rien que pour Elle. C’est incroyable comme les humains sont capables de transformer les plus belles histoires d’amour en monstruosités. Peut-être parce qu’ils ne sont pas capables de vivre les leurs sans en souffrir. Et comme toujours, ils cherchent à justifier chez les autres ce mal qui est enfoui au fond d’eux. La recherche d’une tête de turc. Ou plutôt d’une tête de loup.

 

Loup s’en moque. Il a retrouvé sa chaperonne. Lui chante et Elle danse. Lui joue sa musique marine et Elle tourbillonne corps et âme. Il aura fallu ce photographe, flânant sur la plage pour capter leur rencontre. Un artiste pour regarder l’autre face de la réalité et la fixer sur une image, en noir et blanc. Des autres couleurs, seul reste le rouge orangé de la robe en soie légère. Pigment d’une passion qui défie le temps. A l’image du dragon chinois à l’apparence terrifiante, mais qui protège des démons, le Loup est un poète qu’on n’a pas su lire, un vagabond qui n’a pas été compris. Et sa Muse qu’on a prise pour une enfant l’a attiré par la danse comme les sirènes le font en chantant.

 

Oui, les temps ont bien changé. L’époque des bons vieux loups bien méchants et des petits chaperons rouges inconscients est révolu.

Oubliez entrailles et viscères, familles abominables et mères indignes. Ce ne sont qu’inventions d’humains en mal d’espoir.

Donnez le monde aux artistes et vous verrez ses beautés secrètes, ses histoires insolites. L’autre face du paysage derrière l’apparence. L’autre côté du miroir. Quelques fragments des mystères insondables.

 

Chante encore Loup !

Danse encore Chaperonne ! 

Quand Minuit sonne

S’éveillent les rêves les plus fous.

 

 

Ce texte fait partie de l'ensemble des créations littéraires sur le thème du Petit Chaperon Rouge lues lors de l'évènement "Les Arts s'en mêlent" à la Médiathèque de Sennecey-lès-Dijon le vendredi 7 octobre 2011.

 

 

 

Article du journal LE BIEN PUBLIC (Dijon) le 16 octobre 2011 

 

 

Lien vers les articles :

"Léo Vosguth le réfractaire" / Pascal Marchand

"Paul Vosguth le réfractaire" / Pascal Marchand

Je m'appelle Georges Domborynski / Pascal Marchand

Je m'appelle Mamadou Dupont / Pascal Marchand

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07/10/2011
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