THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Il y a des gens courageux / Pascal Marchand

 

Dans le monde de 2010, il y a des gens courageux. Cet adjectif veut tout dire et ne rien dire.

 

Pour être plus précis, ici, il recouvre l’idée du courage d’ouvrir et de partager à l’heure où beaucoup de gens se ferment, se replient sur eux, acceptant d’une façon directe ou plus voilée l’ordre des choses, l’ordre social, même s’ils sont en désaccord profond avec ce qui se passe. A l’heure aussi où d’autres utilisent le mot courage pour manipuler ou dominer par désir de pouvoir, par supposée supériorité sur le reste de la population.

 

Dans cette forme de courage où il est question de s’ouvrir et de partager, il y a à la fois l’envie de questionner humblement le pourquoi des choses, et le plaisir d’aller simplement à la rencontre de l’autre, en fait une façon de «voyager» dans la confiance malgré les lendemains incertains, vers un futur peut-être précaire mais de toute façon source de richesse intérieure et de vie pour  grandir. Il y a la prise en compte d’autrui comme quelqu’un d’entier et d’inaliénable, porteur d’un savoir, d’émotions qui font aussi la vie, qui font aussi notre vie.

 

Les exemples recouvrent des formes très différentes, mais qui, toutes, dans leur domaine, ramènent de l’espérance et du lien social. Ils comprennent toujours des risques, parfois, à l'extrême, au risque de la vie même quelquefois, toujours au risque  potentiel d’une relative insécurité matérielle, d’une apparente plus grande incertitude sur l’avenir. Mais la vie elle-même, même en restant cloîtré chez moi, n'est-elle déjà pas un risque, une incertitude ? Et n'allons-nous pas tous vers la même fin quoi que nous fassions ?

 

Alors quoi qu’il en soit, dans l'ouverture au monde, les yeux sont ouverts, la marche y trouve de l’énergie, et ces expériences de vie sont immensément enrichissantes, nourrissantes, autant pour ceux qui en prennent l’initiative que pour ceux qui se retrouvent à croiser ces chemins.


 

Mado Gross "Chanteuse" / Exposition Musique / Galerie Espace Bolena Dijon


 

Et ces exemples ne manquent pas.

 

Certaines personnes peuvent partager un temps l’existence de peuples opprimés dont la parole n’est plus transmise, pour en être leurs témoins, comme par exemple les membres des missions du CCIPPP en Palestine (Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien), 163 missions internationales en cette fin du mois de septembre 2010. Et ces témoins témoignant font d'autres témoins, indirects qui témoignent à leur tour, faisant vivre les voix autrement tues.

 

Et dans ces zones d'oppression, des habitants, plus nombreux qu'on ne croit, résistent par l'action non-violente pour refuser la logique des armes et de la destruction, l'engrenage de la vengeance et de la mort sans fin. Pour maintenir l'idée qu'à cet endroit, l'humanité est encore présente, comme en pleine guerre de Tchéchénie où quelques habitants d'une ville dévastée et en ruines avaient écrit sur leur porte à la craie :"Ici vivent des gens", une manière de ramener de la pensée là où la guerre l'avait éteinte, un éclat de vie dans un monde où les éclats d'obus donnent la mort. De même dans les villes de Palestine comme à Hebron, des habitants manifestent pacifiquement chaque vendredi à la même heure sans tomber dans le piège de la violence et du terrorisme qui ne font que renforcer et justifier la violence de l'armée israëlienne. Et, surtout par cette violence, c'est suivre un chemin sans régler les véritables difficultés auxquelles doivent faire face au quotidien les habitants de Gaza et de Cis-Jordanie.

Les manifestations pacifiques hebdomadaires deviennent une façon de perpétuer le message de Gandhi, une manière de redonner une place à l'homme éveillé dans les logiques infernales où l'homme devient une machine à tuer et à détruire.

 

Des habitants d'états oppresseurs se joignent aux luttes des opprimés, au nom de l'universalité de la valeur humaine, par-delà les religions et les cultures, comme ces jeunes israëliens qui récupérent de façon illicite l'eau des puits volés aux palestiniens pour les colons des territoires occupés, afin de la rendre à leurs anciens propriétaires spoliés.

 

Venant de pays laissés pour compte, des opprimés ou des désespérés du monde entier tentent le grand saut vers l'Occident par tous les moyens, espérant trouver l'Eldorado. Sans le savoir, par leurs voyages chaotiques et dangereux (souvent plusieurs, suite à des expulsions et des retours forcés), ils nous questionnent sur le sens d'une vie, le sens d'une solidarité, le sens peut-être dévoyé de notre confort.

 

Un nombre croissant de citoyens participent aux mouvements  pour le respect et l'aide aux personnes mises au ban des sociétés (sans-papiers, roms, sans abri, SDF, chômeurs, sidéens, habitants et jeunes des banlieues, ...), les pestiférés des temps modernes.

 

Des artistes à la célébrité reconnue ou non s'engagent, quitte parfois à mettre en péril leur "carrière". Et d'autres qui n'ont plus rien à perdre continuent à faire de leur nom un étendard pour les sans-noms (Sting pour les indiens d'Amazonie, Bono et U2 qui depuis longtemps déjà défendent la cause irlandaise, rappelez-vous leur célèbre "Sunday Bloody Sunday" et la voix de Bono en entame  de la chanson : "I can't believe the news today...")

 

Quelques  personnes, artistes elles-aussi, au moins dans l'âme, ouvrent des lieux différents pour sortir l’art de son cadre souvent élitiste et bourgeois, bien ancré dans la seule considération marchande (valeur aussi nécessaire dans ce monde), pour que davantage d’auteurs puissent s’exprimer, pour que le public puisse rencontrer les artistes qui ont moins l’occasion de se faire connaître.

C'est le cas de l'Espace Bolena à Dijon qui a présenté, entre autres, les oeuvres du photographe arménien Babayan Gevorg dont les clichés témoignent d'un pays aux paysages sublimes et d'un peuple qui connaît la misère. Cette galerie propose aussi un ensemble d'oeuvres d'artistes qui peuvent ains se faire connaître du grand public.

C'est le cas des responsables du cinéma indépendant Eldorado, toujours à Dijon, qui projette des films qu'on ne verrait nulle part ailleurs et qui fait rencontrer public et cinéastes, faisant vivre ainsi le cinéma. C'est le cas du Bistrot de la Scène où des artistes locaux peu médiatisés en Bourgogne, trouvent un lieu pour que le public puisse apprécier leur talent.

 

D'autres personnes osent bousculer des lois qui excluent au lieu de rassembler comme les Désobéisseurs de l'Education Nationale qui, par leur acte de désobéissance, nous font réfléchir, au sens du mot "éducation", au besoin de respect des enfants et des personnels qui s'en occupent, aussi à nos petites lâchetés, nos silences qui, rassemblés, participent aux petits et grands drames.

 

 

 

 

Dans tous les cas, ce sont des personnes qui ont déplacé les frontières de l'impossible, qui ont rendu visibles ce qui avait été caché soit par les pouvoirs d'état, méprisé par les pouvoirs économiques, condamné par les lois de la morale, ou plus simplement occulté par l'ignorance (souvent orchestrée). A ces personnes, le célèbre vers :"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait." sied parfaitement. Leurs vies parlent de lumière et de liberté. Ils ne sont pas des héros ou des êtres surhumains. Ce sont des gens ordinaires qui veulent sortir des sentiers battus, qui refusent la soumission et le découragement, qui disent aux humains qu'ils ne sont pas seulement des machines à obéir, qu'ils ont le droit d'exister avec leur propre pensée, leur libre arbitre, et que c'est justement leur pensée propre qui participe à la richesse de l'humanité. "Il faut beaucoup d'indisciplinés pour faire un peuple libre" disait Georges Bernanos. Et Marc Jolivet, presqu'en écho, lui répond :"Plus je rêve, moins je crève". Les rêves de chacun font la richesse de tous.

 

Le chemin de ces personnes est tortueux car n’obéissant pas aux règles comptables et traditionnelles. L’humain y est au centre avant l’argent, même si l’argent est toujours nécessaire. Celui-ci redevient un simple moyen d’accéder à plus d’humanité, sans être un but en soi, contrairement aux principes de nos sociétés modernes où l’humanité s’est fixée comme règle la quête d’argent et l’accumulation de richesses ou de biens, quitte à en passer par des guerres, avant la valeur de l’homme.

 

Avoir le courage de refuser cette logique, de poser l’envie d’exister avec les autres comme préalable à ses choix, demandent une audace qui ressemble on ne peut plus clairement à une forme de résistance, un refus de la passivité. La ligne d’équilibre est fragile mais l’impact sur l'existence est puissant. Ce qui est gagné est imprenable, contrairement aux biens matériels. La mémoire emmagasine les grands moments de la vie et beaucoup de reconnaissance, une grande force pour vivre encore, pour avancer dans une fierté humble d'être un humain.

 

C’est, même sans le vouloir vraiment, un chemin initiatique où le plaisir du partage est roi. Et la vie y est reine. Il est souvent heureux d’avoir le courage d’oser.


 



25/09/2010
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