L'île des gauchers / Alexandre Jardin
"L'île des Gauchers" de Alexandre Jardin
(Edition Gallimard - 1ère édition 1995/ Collection Folio n°2912 -2003 )
Ce livre étonnant pose l'une des questions les plus essentielles de la vie des humains : comment fait-on pour aimer ?
L'histoire de Lord Jeremy Cigogne et de sa femme Emily est une invitation à regarder de plus près notre rapport au plaisir et au présent. Leur voyage vers l'île des Gauchers est une quête vers les sentiments véritables. Sur cette petite île du fin fond du Pacifique que les géographes ignorent, vit une petite communauté où les droitiers sont très peu nombreux. Cette société fondée par des utopistes français en 1885 refonde les rapports entre les humains, des rapports plus tendres, plus vrais. Ils mettent en place une vie basée d'abord sur ce que l'on est avant ce que l'on fait.
Ce livre est magnifique et on ne peut s'empêcher de se regarder, par l'intermédiaire du couple Emily-Jeremy, dans nos travers, nos envies de vie, nos envies d'aimer. Un livre beau comme un bijou. Et l'on se prend à chercher sa propre île des Gauchers...
Extraits
(Page 91) ... Une chose frappe Emily : la beauté des gens de ce bout de France tropicale. Certes leurs traits n'étaient pas plus fins que ceux des parisiens ordinaires, mais leurs visages, leurs regards laissaient filtrer cette harmonie solaire des êtres qui aiment avec délectation et sont aimés en retour ; comme si le fait d'être "bien aimé" libérait le plaisir simple qu'il y a à participer à la vie, une générosité paisible. Et une espièglerie ! Une gaieté congénitale, pas circonstanciée, non, biologique !
(Page 135) ... d'aller et venir hors de sa maison sans que l'autre ne pût exercer ce contrôle irritant et implicite qui fait du couple le lieu privilégié de la tyrannie ordinaire, sous le couvert de la plus vive tendresse...
(Page 137) ... Elle avait le sentiment d'échapper ainsi à cette existence qu'on planifie pour vous en Europe, de dessiner son propre destin en inventant sa maison ; et cela libérait en elle une énergie toute neuve, ce tonus vivifiant qu'elle avait perçu chez les Hélléniens (Les habitants de l'île des Gauchers), ces pionniers qui n'en finissaient pas de choisir leur vie...
(Page 150) ... Dépouillé du mensonge d'une fausse solidité, il en devenait désirable...
(Page 167) ... Dans son émotion, elle sentit clairement que l'amour n'est pas constitué de l'objet sur lequel il se porte, mais par ce talent qu'a le coeur de se remplir en se donnant. Oui ! C'était cela qu'elle éprouvait, très exactement : plus elle aimait Cigogne, tel qu'il était et non tel qu'elle eût voulu qu'il fut pour la rassurer, plus elle était pleine de vie, de paix, de tendresse passionnée pour lui, mais aussi pour tous ses prochains...
(Page 193) ... se contenter de dire ce que l'on éprouvait, soi, sans jamais céder à la sensation de juger, devait être le seul chemin pour être écouté, l'unique moyen d'éviter le ping-pong des reproches...
(Page 224) ...la logique droitière veut que l'on abdique des pans entiers de ses aspirations sous le prétexte d'être cohérent. Qui, en amour, peut se targuer de l'être, sitôt que l'on accepte d'écouter la complexité de ses désirs ? Et pourquoi s'amputer du meilleur de l'existence ? L'imagination et les sens ne peuvent se resserrer éternellement dans les limites étroites de la raison...
(Page 295) ... "I Love you Jeremy." Ces mots d'une banalité crasse mais ardente le touchèrent au vif de son être car ils vibraient d'une vérité toute simple. Elle les avait dits sans effet, avec la certitude que ses paroles seraient perçues par Cigogne dans toute leur sincérité grave, et gaie aussi. Jamais elle ne l'avait tant aimé, d'amour, oui, pas cette petite monnaie qu'on appelle la passion. Le coeur était gros d'une colossale tendresse. Une macédoine de désir sexuel, de douceur extrême et de goût pour ce qu'il avait de différent d'elle et même de pas très glorieux, parfois. Les mains ouvertes, elle l'aimait. Lucide ! un sublime attachement, généreux, irrévocable, enfin ! Il entrait désormais dans les sentiments d'Emily cette éternité qui les plaçait hors d'atteinte des circonstances.
(Page 298) ... L'essentiel des appétits chez les Gauchers ne se satisfait pas des billets de banque. Personne, là-bas, n'avait besoin d'un métier pour que son existence ressemblât à quelque chose, pour en retirer une manière de statut, ou de la considération. Ce n'était pas en trimardant qu'on allait à la rencontre de la vie et des autres, bien au contraire...
Un livre où l'essentiel des pages apporte son lot de pensées qui traînent dans la tête un bon moment et qui reviennent inopinément quand on peut se retrouver devant certaines absurdités de notre vie au quotidien. A lire et à relire...
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