THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

L'univers des Encavés

"Les Encavés du Secteur 4", c'est d'abord une pièce de théâtre, une création du Théâtre du Puzzle. Ce sont aussi des personnages en quête de sens dans un monde chaotique où les repères humanistes ont sauté. C'est aussi un roman. En voici le premier chapitre...

 

 

 

 

Chapitre 1 :

 

 

Et il en fut ainsi.

 

 

Depuis le temps que ça lui pendait au nez à l'humanité. De sommets internationaux ratés en manifestations stériles face au silence ou à l'immobilisme des gouvernants, d'inquiétudes angoissantes pour le climat en catastrophes naturelles annoncées que les assurances ne prenaient même plus la peine de rembourser tant les frais dépassaient la réalité des sommes encore en coffre-fort, le monde était devenu « mondes ». Territoires autonomes et fermés, bouclés à triple tour. Une planète de geôles délabrées. Beaucoup de dictatures. Quelques semblants de démocratie. Et, par ci, par là, des îlots improbables, coupés des autres comme des parenthèses à l'inespoir. Des rêves éveillés de  contrées libres dont on savait à peine si elles existaient vraiment ou si elles n'étaient qu'une utopie d'humains un peu fêlés.

 

 

Le pétrole disparu, l'électricité en apparence omniprésente n'était qu'un paravent pour masquer les reculs de la recherche. Energies renouvelables abandonnées faute de crédits affectés à cet effet. Les groupes électrogènes faisaient légion en plus des dernières éoliennes qui avaient échappé aux destructions des guerres ultimes.

Les guerres ? Il n'y en avait plus beaucoup. A quoi bon combattre pour des territoires en ruines dont le seul profit était de se retrouver avec quelques bouches supplémentaires à nourrir. Bref des responsabilités à assumer en plus, pour n'en tirer aucun bénéfice. En fait les dernières guerres avaient mis fin aux envies de conquêtes. Les petits tyrans se complaisaient dans leur pouvoir microscopique sur des territoires grands au plus comme un département. Certains avaient cherché à étendre leur espace de domination, mais les échecs supplémentaires avaient calmé les ardeurs belligérantes. Les mondes se confondaient maintenant avec des routines fonctionnelles. Des vies sans autre but que de fonctionner. Histoire de se dire qu'on était là pour quelque chose. Comme il n'y avait rien, alors travailler, même pour des clopinettes, valait mieux que le néant d'une attente de la mort. On pouvait ripailler de temps à autre pour fêter un illusoire anniversaire ou une pseudo promotion sans réelle avancée pécuniaire. C'était de toute façon un moment joyeux pour passer le temps autrement que dans le rythme lancinant des semaines creuses.

 

 

On se gaussait autrefois du fameux Métro Boulot Dodo. Là, on y était pleinement et sans nuances. Même sans questions. Ce triptyque linguistique s'était même épaissi d'un quatrième vocable : couvre-feu. Obligation faite aux populations de rentrer chez soi à la nuit tombante. Et encore chez soi, en cela fallait-il entendre dans la cave de son immeuble ou de sa maison, sous terre comme des rats aveugles de ce qui se passait en dehors dans la nuit, sans que personne n'en sache quoi que ce soit. Les appartements désertés servaient de greniers à poussière. Des garde-meubles inutiles ou des lieux précaires pour le nécessaire renouvelable. Endroits accessibles qu'une demi-heure par jour avant le repli en cave obligatoire stipulé par la loi. Le service public n'était plus qu'un vieux souvenir. Les rues laissées à l'abandon ne demandaient d'ailleurs plus rien. De toute façon, le peu de véhicules qui restaient et les convois militaires s'accommodaient fort bien du vieux goudron issu du pétrole devenu fantôme de fossile.  Les écoles publiques n'avaient d'école que les anciennes façades décharnées aux lettres poussiéreuses, à peine lisibles sous le poids des décennies et de la crasse. Personne n'y faisait attention. La population passait devant les vieux édifices délabrés de l'administration comme s'ils n'existaient pas. Ils avaient appris à lire par l'autoformation délivrée par les familles après qu'on eut donné aux parents le diplôme de formateurs agréés. D'ailleurs ce diplôme n'avait pas grande valeur tant la corruption et le trafic d'argent enlevaient toute crédibilité aux titres et aux mérites sociaux. Les silhouettes des ruines terreuses envahies par les mauvaises herbes auraient pu servir de repères historiques pour comprendre le passé et s'en inspirer pour le futur. On n'en était plus là. Plus d'éducation, plus de citoyenneté, plus d'histoire et de géographie. Pas d'espace temps ou d'espace terrestre à maitriser. Juste son immeuble, sa cave et son lieu de travail. Plus de passé, plus d'horizon à découvrir, rien que soi dans un rôle de fourmi laborieuse dans le présent immédiat. Théâtre pitoyable et sans spectateurs. Sans musique. Dans le silence terrifiant qui mène à la nuit et au cauchemar. Alors les carcasses de pierre du passé servaient de décor à l'inutile. Elles balisaient les rues comme des repères entre deux chantiers. On savait que, pour rejoindre le hangar 419 où des ouvriers tétracassaient le nouveau labozingueur pour la construction d'engins de soucreusage, on devait traverser la grande avenue, à l'endroit dit de l'ancienne mairie. En fait il ne s'agissait plus que d'un mur branlant sur lequel bringuebalait un antique panneau  d'information dont l'affiche toute jaunie évoquait encore un conseil municipal vieux de plus de cinquante ans. Personne n'y avait touché. Pourtant la fourmilière des travailleurs en veste bleue  pour les hommes ou rouge pour les femmes longeait chaque jour cet endroit. Personne n'avait songé un instant à déchirer l'affiche ou tagger le panneau. Tout le monde s'en foutait. Les gens vivaient dans un monde sans passé. Les traces de ce vieux temps semblaient invisibles aux yeux des passants, uniquement soucieux de ne pas arriver en retard au boulot et de ne pas rater l'heure fatidique du couvre-feu. On ne parlait plus que de numéros : de chantiers ou de bureaux, de hangars ou de succursales, de zones et de secteurs. C'était un monde mathématique réduit à l'utilitaire. Les théâtres, opéras et salles de concert du l'époque glorieuse quand les rues étaient encore animées tard dans la nuit n'étaient plus que des terrains vagues aux murets masquant l'ombre de chats errants et d'herbes folles. Les miaulements avaient remplacé les voix de castra. Parfois des cris sourds se faisaient entendre sans que personne n'y prête attention. On retrouvait parfois un corps décomposé et puant, à moitié dévoré par la faune nocturne. Au milieu des parfums d'urine et de chair pourrissante, poussaient les pissenlits et les plantes urticantes. Les lieux de l'art étaient déchus dans l'horreur la plus crue.

 

 

Chaque instant d'une vie prenait alors toute sa valeur. Être vivant au moment M, c'était ça le challenge. Puis de l'être à l'instant M+1, M+2, M+3 jusqu'au soir dans la cave. Une compétition avec soi, comme unique concurrent. Gagner, c'était être vivant le soir du jour où la nouvelle course avait commencé, après la multitude de moments M, ajoutés à ceux de la veille. C'est comme ça qu'une semaine devenait une éternité. L'espoir se jouait dans la minute qui suivait, car après la minute, le temps se perdait dans l'incertitude.

 

 

 

Demain ? Une aube nouvelle possible, un jour de plus en attendant qu'il n'y en ait plus. Rats de la nuit devenant fourmis du jour. Insectes ou rongeurs, personne n'avaient vraiment de gloire à en tirer. Tout au minimum. A croire que la sociobiologie avait réussi enfin à donner vie à sa théorie de retour aux lois de la jungle. L'homme redevenu animal avec ses prédateurs et ses proies.

 

 

Chapitre 2(...)

 

 

 



31/12/2009
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