THEATRE DU PUZZLE

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Libération - Cahuzac ou le symptôme de l'idéologie libérale - 6 avril 2013

«Cahuzac est le symptôme de l’idéologie libérale dans laquelle nous vivons»

France's President Francois Hollande (L) and Junior Minister for Budget Jerome Cahuzac (R) attend the traditional family photo outside the Elysee Palace in Paris May 17, 2012. France's erstwhile budget minister admitted on Tuesday to holding a secret 600,000-euro foreign bank account and he was placed under a fraud investigation in a grave blow to French President's 10-month-old government. Jerome Cahuzac's surprise reversal after months of denying allegations he held a Swiss account deeply embarrassed Holl
 (© Pascal Rossignol / Reuters) 

INTERVIEW Pour Pierre Lascoumes, polititologue, spécialiste de la corruption, Hollande doit se saisir de cette affaire pour «prendre des mesures crédibles».

 

Pierre Lascoumes, politologue, spécialiste de la corruption, est rattaché au centre de recherches de Sciences-Po, Cevipof. Il revient sur l'affaire Cahuzac et ce qu'elle révèle des pratiques politiques françaises. 

 
Comment Jérôme Cahuzac est-il passé au travers des filtres qui existent pour prévenir la corruption ?

En France, on a fait beaucoup de réglementations et de législations depuis plus de vingt ans, mais cette nouvelle affaire montre que la mise en œuvre est très faible. Les organismes de prévention de la corruption et des conflits d’intérêt ne fonctionnent pas, ils sont symboliques et sans aucun pouvoir. Depuis les années 90, on a beaucoup parlé de la lutte antiblanchiment, et des paradis fiscaux, mais on n’est pas allé voir si les pratiques avaient changé dans les banques. On s’aperçoit que les Suisses restent très bien organisés et continuent de d’offrir à leurs clients d’opacifier les fonds en toute tranquillité. Dans le cas du pantouflage, il existe une commission chargée de contrôler, surveiller les agents qui partent dans le privé, après avoir exercé des fonctions de contrôle dans le public. C’est typiquement le genre d’institution qui a été pensée comme une protection. Mais elle n’a aucun pouvoir, sinon celui de donner un avis qui n’est pas écouté. Là aussi, c’est un masque, un paravent.

Cette affaire est-elle exceptionnelle ?

On pourra en faire un cas d’école, car aucune affaire à ce jour n’a jamais concentré autant d’élèments. Un ministre du Budget fraudeur fiscal, qui a eu activités très libérales, pantouflé, et qui finit par commettre un mensonge public devant le Parlement... Cette conjugaison en fait une affaire exceptionnelle. Je ne pense pas qu’il aura droit à l’amnésie, comme Eric Woerth, car il est lâché par les siens. Eric Woerth, qui est toujours au Parlement, a été soutenu par sa famille, son parti, qui ont toujours considéré qu’il avait été mis en cause abusivement et qu’il n’existait aucune preuve contre lui. Je n’ai entendu aucun socialiste défendre Cahuzac, c’est la grande différence.

Que révèle cette affaire sur le personnel politique actuel ?

Jérôme Cahuzac appartient à la jeune génération des hommes politiques, censée avoir rompu avec les pratiques de Pasqua, Mitterrand, Chirac. C’est donc un autre type d’affaire qui survient aujourd’hui. Cahuzac est le symptôme de l’idéologie libérale dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Une expérience dans le privé est bien vue, cela montre que les hommes et les femmes politiques ne sont pas tous des fonctionnaires, ou des professionnels. C’est même devenu un postulat que personne ne remet en cause. Le parcours de Jérôme Cahuzac, ses activités dans sa clinique privée, n’ont pas posé de problème à son entourage, car on pensait que c’était un atout.

Que peut faire François Hollande ?

Il est acculé. Pour essayer de s’en sortir par le haut, ou le moins bas possible, il devrait saisir cette affaire comme une opportunité pour prendre des mesures crédibles. La pire des solutions serait de faire une loi dans l’urgence, c’est le plus mauvais des systèmes. Dans la ligne des rapports Sauvé ou Jospin, et en s’appuyant sur les structures qui existent déjà sur la probité publique, il devrait prendre le temps de mettre en œuvre de véritables moyens d’actions indépendants, hors du contrôle politique. Cela ne s’invente pas sur un coin de table, mais si on continue de bricoler comme par le passé, cela ne servira à rien.

Quelles seront les conséquences politiques de cette affaire ?

Le contexte économique, et les hésitations de François Hollande, font déjà qu’un boulevard s’ouvre pour la droite, persuadée que la gauche n’a aucune légitimité à gouverner. Or cette droite qui se rapproche du Front national - on constate que c’est devenu un phénomène structurel -, n’a plus rien à voir avec la droite traditionnelle. L’affaire Cahuzac prend une ampleur exceptionnelle dans ce contexte.



06/04/2013
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