Livre / "L'Apothicaire et l'Opéra des Gueux" de Deryn Lake
« L’Apothicaire et l’Opéra des Gueux »
de Deryn Lake
Collection Labyrinthes
Editions des Champs-Elysées
Traduit de l’anglais par Jacqueline Lenclut
Titre original : « Death at the Beggar’s Opera »
LCE Hachette Livre
1997 – 347 pages
Le roman de Deryn Lake plonge le lecteur dans le Londres animé du XVIIIème siècle, de ses théâtres et de sa vie artistique. Autour de l’œuvre « L’Opéra des Gueux » de John Gay, créé à Londres en 1728 au Royal Theatre à Inn Fields, se développe une intrigue complexe et prenante qui prend sa source dans la mort de Jasper Harcross, l’acteur principal de la pièce. Sur scène, la condamnation à mort de son personnage, trucage pour une pendaison factice, est trafiquée pour la transformer en une mort bien réelle, un crime de haute volée.
Ce décès brutal est à la base d’une immersion dans les arcanes du monde artistique de cette époque avec ses héros, autant aimés que haïs, ses mystères, ses petitesses et ses bassesses, ses frasques, ses jeux de pouvoir et de domination.
John Rawlings, l’apothicaire au centre de cette enquête, a réellement existé, sans doute le premier inventeur d’une eau gazeuse bicarbonatée en Angleterre, l’ancêtre du soda d’aujourd’hui au milieu du XVIIIème siècle.
Deryn Lake, fascinée par son personnage, en a fait le héros de sa série littéraire dont il est le héros, une quinzaine de titres entre 1994 et 2013.
Dans le roman, John Rawlings est à la fois apothicaire, médecin et enquêteur pour le compte du Blind Beak, John Fielding, magistrat principal de la ville de Londres, aveugle mais cependant redouté et respecté.
L’apothicaire est un personnage curieux des relations humaines dont il en comprend beaucoup de rouages. Bien que très jeune encore, il possède un regard affûté sur les choses de la vie, toujours prêt à démêler les nœuds que le passé a embrouillé pour les rendre inextricables. Sa volonté est à l’égal de sa curiosité. Tant mieux pour le lecteur qui peut se laisser porter par cette histoire et guider dans l’écheveau des petites rues de Londres.
Pour qui est déjà allé dans la capitale britannique, c’est un véritable régal d’imaginer ces rues du vieux centre comme elles l’étaient il y a plus de deux siècles, de Piccadilly à Covent Garden, de Kensington à Chelsea, en passant par Leicester, des passages coupe-gorges aux centres animés, des quartiers les plus huppés aux zones les plus pauvres de la ville. Chaises à porteurs, cabs et autres transports de la vieille Angleterre rythment les chevauchées des personnages. L’ouvrage est très documenté. Si l’histoire elle-même est une fiction, l’univers dans lequel évoluent les personnages fourmille de détails sur la vie londonienne. Le travail préparatoire à ce roman a certainement été très conséquent.
L'écriture comme les dialogues donnent au texte un accent très british entre convenances affichées et vérités crues.
Ici, on trouvera plus qu’une enquête, surtout un voyage temporel où des humains se déchirent comme ceux d'aujourd’hui.
L’auteur, Dinah Lampitt, est une romancière britannique, née le 6 mars 1937 à Ilford (Essex) au Royaume-Uni. Elle écrit sous le nom de plume Deryn Lake. Elle a d'abord été journaliste, puis s'est lancée dans l'écriture de romans historiques. Elle débute en 1994 une série de romans policiers historiques mettant en scène l'apothicaire John Rawlings. De nombreux romans de cette série sont publiés par la maison d'éditions du Masque dans la collection Labyrinthes. Elle vit à Battle dans le comté du Sussex de l'Est.
The Beggar's Opera (L'Opéra du gueux), quant à lui, est un ballad opera en trois actes, écrit en 1728 par John Gay, sur une musique de Johann Christoph Pepusch.
Les ballad operas étaient des spectacles caractéristiques de la scène anglaise du XVIIIème siècle écrits en réaction à la prééminence de l'opéra italien sur les scènes d'alors. Il s'agissait de pièces musicales satiriques qui suivaient certaines des conventions de l'opéra, mais sans récitatifs. Les textes de ces pièces étaient mis en musique sur des hymnes religieux, des mélodies populaires d'alors, des airs d'opéras connus, et surtout, sur des romances, des ballads populaires, qui ont donné leur nom au genre.
C'est à Jonathan Swift que revient l'idée de cet opéra, lorsqu'il écrit à Alexander Pope le 30 août 1716 en lui demandant « [...] que diriez-vous, d'une pastorale qui se déroulerait à Newgate parmi les voleurs et les putains qui s'y trouvent ? ».
Leur ami John Gay décide d'en faire, non une pastorale, mais un opéra satirique. Pour sa production originale de 1728, il tient à ce que toutes les chansons soient chantées sans aucun accompagnement, ajoutant par là à l'atmosphère choquante et âpre qu'il avait en tête.
Cependant, une semaine avant la première, John Rich, le directeur du théâtre, insiste pour que Johann Christoph Pepusch, un compositeur avec lequel son théâtre travaille régulièrement, écrive une ouverture à la française en bonne et due forme, ainsi que des arrangements pour les 69 chansons. Bien qu'il n'y ait pas de preuve indépendante de l'identité de l'arrangeur, l'examen de la partition originale de 1729, dans sa version officielle publiée par Dover Books, démontre que Johann Christoph Pepusch est bien l'arrangeur.
L'œuvre a inspiré L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht sur une musique de Kurt Weill, ainsi que les films L'Opéra des gueux de Peter Brook (1953) et L'Opéra du gueux de Jiří Menzel (1991).
L'interprétation la plus fréquemment jouée de nos jours est la version réharmonisée et réarrangée par Benjamin Britten en 1948. Il existe aussi une adaptation brésilienne de Chico Buarque, A ópera do malandro (L'opéra du malandrin), encore beaucoup jouée sur les planches des théâtres brésiliens et dont certaines chansons sont devenues des classiques de la musique populaire mondiale.
Un groupe de rock progressif anglais très inspiré par la musique classique s'appelle Beggars Opera.
Le groupe rock Beggars Opera dans les années 70
Tableau de William Hogarth, vers 1728, tiré de The Beggar's Opera, scène V à la Tate Britain.
Extraits
Page 7
Ce jour-là, le temps était détestable : la pluie tombait dru et le vent soufflait en rafales. Aussi, John Rawlings, après avoir soigneusement fermé sa boutique de Shug Lane, se hâta-t-il de regagner son logis en s'abritant sous son parapluie, cette précieuse invention venue de l'Orient et que certains jugeaient trop efféminé pour les messieurs.
Page 66
Les villages de Chelsea et Kensington, situés à quelques miles seulement de la cité de Londres mais en plein coeur d'une superbe campagne, avaient un charme simple auquel John Rawlings était particulièrement sensible. Le village de Chelsea qui s'étendait au bord du fleuve, avait été autrefois un port de pêche sans prétention. Désormais, grâce à la présence des grands Ranelagh Gardens, le plus élégant des pleasure gardens (parcs d'agrément) (dont l'entrée était d'un prix exorbitant, 2/6 pence), le beau monde (en français dans le texte original) affluait, ne visant parfois qu'à faire maintes et maintes fois le tour de la Rotonde pour voir et être vu. Kensington ne pouvait se vanter d'offrir pareil divertissement, car il n'était pas situé sur la rivière et était privé d'accès facile par l'eau.
Page 103
- Non, je vous ai déjà affirmé qu'il n'a pas péri de ma main. L'amour hideux que j'éprouvais pour lui ne m'a pas quitté, même si ma raison me dit qu'il a trouvé la mort. (Elle laissa échapper un rire désespéré qui étreignit le coeur de John, et ajouta :) A-t-on jamais vu un parasite tuer celui dont il suce la substance ?
Page 114
- Je disais qu'il était marié , et même depuis de nombreuses années, plus précisément depuis l'âge de 20 ans.
Elle se leva d'un bond.
- C'est bien vrai ?
- Oui.
Elle explosé :
- Oh, l'abominable individu ! Comment a-t-il osé ?Il mérite la mort.
- Eh bien, il est mort ! Fit John d'un ton sec. L'auriez-vous oublié ?
Subitement calmée, elle versa un nouveau pleur.
- Je ne sais plus ce que je dis, pardonnez-moi.
- Vous n'êtres pas la seule à parler ainsi, commenta l'apothicaire en hochant la tête. Il me semble que Jasper Harcross a commis des ravages partout où il est passé.
Page 248
Il faisait à nouveau froid, et comme la veille un brouillard glacé sévissait. Emmitouflé dans sa cape, l'apothicaire se hâtait, regrettant l'absence de porte-flambeau. Il s'aperçut qu'il s'était trompé de chemin et qu'au lieu de prendre vers Nassau Street après Drury Lane, il avait tourné en direction des Seven Dials. Il jura abondamment et s'apprêtait à revenir sur ses pas quand il crut reconnaître une silhouette : elle émergeait du brouillard et venait vers lui (...)
Nassau Street, Londres, au début du XXème siècle
Nassau Street, Londres, de nos jours
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