Livre / "L'Olympe des Infortunes" de Yasmina Khadra
L'OLYMPE DES INFORTUNES
de Yasmina Khadra
Editions Julliard Collection Pocket
188 pages / 2010
Pour ceux qui ont lu "L'attentat", "Les Sirènes de Bagdad" et "Les Hirondelles de Kaboul", sa trilogie sur l'Orient, voilà de quoi être dépaysés, même si, très vite, le style et l'écriture de Yasmina Khadra se reconnaissent sans difficulté.
Nous sommes ici plongés dans l'univers d'un terrain vague qui sert de décharge à ciel ouvert entre une ville qu'on imagine de grande taille, et la mer aux horizons lointains.
Nous plongeons dans un monde d'exclus volontaires qui ont choisi de vivre hors du monde, dans une essence de paradis artificiel en forme de "dépotoir que couvent d'incroyables nuées de volatiles puis, telle une patrie, le terrain vague hérissé de carcasses de voitures, de monceaux de gravats et de ferraille tordue" à proximité des "dunes qui n'en finissent pas de s'encorder". Ils disent appartenir à la communauté des Horrs ("libre" en arabe).
De cette tribu d'invisibles, on imagine leur passé violent et douloureux qui les a amenés à choisir de vivre dans cette communauté d'infortune pour une vie chaotique, au jour le jour, mais qu'au moins ils ont choisie et pas subie.
Pour Ach, le musicien-philosophe, Junior son protégé, Mimosa et Mama, le Pacha et la bande soumise à ses ordres, Bliss le solitaire et sa chienne famélique, c'est un royaume des oubliés, un no man's land d'ivrognes et de clochards.
Dans leur fuite du monde, ils ont institué des codes tacites, sorte de lois implicites pour un pays sans nom. Ils sont devenus des êtres mi-anges, mi-démons, oubliés de Dieu, du temps et des autres hommes.
Et pourtant il est difficile d'échapper au grand monde d'à côté et à son passé au-delà de la bande de bitume qui les sépare de la ville. Encore plus difficile quand un étrange Ben Abraham vient bouleverser le fragile équilibre du territoire.
Entre quête d'absolu et déchéance, ces sans-grades errent au rythme des marées, en flirtant avec la mort toujours très proche. Yasmina Khadra nous propose un texte magnifique dont les échos résonnent sur nos propres vies. Qui sommes-nous ? Qu'est-ce que le bonheur ? Peut-on recommencer ou reconstruire son existence ?
Ici, pas de leçon de morale, juste un long moment humainement très fort parmi quelques oubliés qui ne sont pas si éloignés de nous. Un livre formidable.
Yasmina Khadra, de son vrai nom : Mohammed Moulessehoul
Extraits
Page 9
Si tu veux t'acheminer
Vers la paix définitive
Souris au destin qui te frappe
Et ne frappe personne
Omar Khayyam
Page 20
- Lorsque la mer est agitée, pour les gens de la ville, il fait mauvais temps, pour un Horr, la mer est en fête.
Page 33
(...) il se rabattit sur le terrain vague où toutes les hontes sont bues comme sont tus les plus horribles secrets.
Page 49
- C'est vrai, c'que j'suis con.
- T'es pas con, Junior. Tu oublies seulement de réfléchir avant de parler.
Page 71
Je ne veux rien, n'exige rien, n'attends rien. Ce que je possède, je l'ai emprunté au dépotoir. S'il me faut le restituer, y'a pas de problème. Les routes sauront me rendre ce que les jours me prennent.
Page 96
Dans l'urgence, il est impératif de trouver du talent à un raté, et du génie à un détraqué.
Page 107
Si on refilait un sou à chaque con sur terre, on ruinerait tous les empires du monde (...) La paix n'est qu'un rêve pour eux, et elle consiste à peaufiner les représailles, les coups fourrés, les guerres et le malheur, et Dieu se sent coupable du merdier que nous sommes les seuls à rendre possible.
Page 117
La gloire n'est que la preuve que nous restons les otages de nos vanités. Nous dévastons les quiétudes en croyant bâtir des légendes. Nous tombons bas tandis que nous pensons supplanter nos angoisses. Nous régnons sur des décombres comme des vautours sur les charognes...
Page 131
- Ach dit que c'est le meilleur des mondes.
- Ce n'est pas un monde, Junior, c'est un mouroir.
Page 145
- Il n'est pas sot, c'est toi qui l'empêches de grandir.
Page 156
La chance nous sourit tous les matins, le bonheur nous accueille tous les soirs, et on ne s'en rend pas compte.
Page 173
La ville, avait-il constaté à ses dépens, ce n'est pas un endroit où l'on se reconstruit quand on tombe très bas. Elle ne pardonne pas aux imprudents.
Page 183
- Toi, par exemple, tu ferais pas de vieux os, là-bas. Parce que là-bas, on dort que d'un oeil, et pour un borgne, c'est pas évident...
Interview de Yasmina Khadra à la FNAC / 1ère partie
Interview de Yasmina Khadra à la FNAC / 2ème partie
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