THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Livre / "La sexualité d'un plateau de fruits de mer" de Jean-Pierre Otte

LA SEXUALITE

D’UN PLATEAU DE FRUITS DE MER

De Jean-Pierre Otte

Editions Julliard / 2000

Editions France Loisirs Collection Piment

125 pages

 

 

 

Déjà, le titre donne un aperçu de ce qui va suivre. L’idée plutôt surprenante de mettre en lien sexualité et fruits de mer attire l’attention.

 

L’histoire commence par le parcours d’un type dépressif qu’on envoie dans une maison au bord de la mer où cet homme reniflait « d’entrée, assez désagréablement, une odeur indéfinie, humide et rance, sans qu’ [il] puisse démêler si l’effluve était celui d’une maison abandonnée ou celui d’une fille dont aucun amant ne s’occupait plus. »

S’en suit quelques pages écrites en script en forme de prologue, sur les errances de cet homme sur la plage et les rochers, là où, « au-dessus des récifs, ce vent, en coups de cravache, faisait tournoyer les mouettes dans un désordre chorégraphique », avec  « l’impression d’être une infime partie du monde, un éclat après tout dérisoire, mais qui participait aussi bien de l’infini des êtres et des choses ».

Puis « soûlé insidieusement par les odeurs marines », l’homme pénètre dans un autre monde, celui des mollusques et des gastéropodes, des anémones de mer et des seiches, des coquilles et des oursins.

 

 

De chapitre en chapitre, nous pénétrons le monde intime des êtres de la mer comme s’ils étaient humains, comme si nous étions nous-mêmes des membres de leur espèce animale. Ils nous regardent et nous les regardons. « L’œil de seiche est terrible, pensif, profond : c’est lui d’abord que l’on voit en réalité qu’en même temps il nous regarde ».

 

Avec amour, humour et volupté, dans un langage empreint de métaphores, Jean-Pierre Otte nous convie à leurs rites sexuels, à leurs ébats reproductifs, à leurs repas de proie et de prédateurs. Avec beaucoup de jubilation, nous devenons crabe, moule, huître, étoile de mer, homard et langouste, coquilles Saint-Jacques, patelle et bigorneau. Tous ces animaux que nous ne connaissons uniquement comme mets délicats apparaissent ici « dans une chorégraphie d’ondulation et d’ondoiement », dans un chant de séduction et des actes d’amour à faire pâlir d’envie les humains que nous sommes.

 

 

 

L’auteur se délecte de ce vocabulaire amoureux pour parle savamment de la vie marine. Car le plus extraordinaire, c’est qu’il décrit le monde réel comme un livre de sciences sans jamais que cela n’apparaisse ainsi. Par exemple, de la femelle homard ou langouste, il dit qu’elle est « la messagère de quelque nouveauté pour l’amant inconnu et transitoire », que « la passion les ébranle à la période des grandes marées ».

 

Tout le livre est écrit de la sorte, avec drôlerie et émerveillement, avec beaucoup de sensualité. Il est question d’amour pratiquement à toutes les pages, amour tendre, amour transi, amour sauvage et cru, amour distancié, amour platonique, abandon dans les méandres du hasard, aventure vers l’inconnu, vie et mort, voyage et immobilité.

 

Au final, l’homme dépressif se réveille de son ivresse et voit en face de lui la véritable femme qui l’accueille. Il sera question pour eux d’amour et surtout de … fruits de mer.

 

 

Pas étonnant que ce livre recèle de richesse et de style. Son auteur Jean-Pierre Otte est un belge, féru de biologie et de philosophie, de botanique et de mythologie. Les références dans le livre sont d’ailleurs extrêmement nombreuses. Il est aussi chroniqueur de presse écrite, conteur à la radio. C’est également un artiste peintre. 

 

Ce livre court et réjouissant se dévore en quelques heures.

 

 

 

Extraits

 

Page 17

La spire qui s'envidait à l'intérieur des coquillages devenait un motif de méditation par excellence ; une suite de révolutions, par laquelle se conjuguent jusqu'à se confondre l'espace et le temps.

 

Page 19

En s'émerveillant, on se rouvre toujours à l'univers en même temps qu'à son propre univers.

 

Page 21

Les oursins... C'est assez dire qu'ils sont dans une promiscuité d'indifférence.

 

Page 30

Quand on est seiche, on se plaît à la parade et à la valse nuptiale. C'est une chorégraphie lente, somptueuse, pleine de majesté et de fantasmagorie.

 

Page 38

La mer... Elle se retire plus encore que le dormeur qui s'éveille dans un rêve en serrant contre lui le désordre des draps.

 

Page 45

Le crabe... L'étreinte aura lieu dans l'ombre, dans une soudaine fraîcheur bleuâtre, tout engorgée d'une odeur d'algues pourries et de poisson.

 

Page 48

Les moules... Ne faudrait-il pas plutôt parler d'une sorte d'anarchie organisée au hasard et naturellement, où les choses communiquent sans qu'il y ait besoin de moyens de communication ?

 

Page 58

L'huître cède à un repli comme circulaire sur elle-même, à l'oubli de tout, à l'insouciance d'une vie alentie et subtile, libérée des impératifs et des appétits ordinaires.

 

Page 72

Le homard et la langouste... On ne se dévêt jamais, on ne se sépare pas de cette cuirasse qui fait office tout à la fois d'ornement majestueux, d'attirail guerrier et de protection. Même dans l'amour, où les contacts sont des heurts délicats de cuirasses, on ne connaît jamais la chance ni les charmes de la nudité : on s'accouple en costume.

 

Page 83

Par sa liberté de mouvement, la crevette paraît s'accommoder des importuns, sans peut-être même s'apercevoir de leur présence, comme si tout se déroulait dans un jeu de transparences ou de miroirs sans tain.

 

Page 96

La patelle... Il y a une sorte de hâte, d'allégresse à progresser, comme s'ils allaient manquer un rendez-vous, une occasion qui pourrait ne jamais se reproduire.

 

Page 104

Les algues... Dans cette lente asphyxie, une agonie qui ne dérange personne, cette fin en vaut bien une autre ; elle offre même une forme de noblesse ultime d'être utile à quelque chose ou à quelqu'un.

 

Page 107

Quand on est accoutumé aux préliminaires inventifs, à l'échange de caresses et aux contacts multipliés, à toutes les fêtes sensibles de la présence complice de son partenaire, il est préférable de s'abstenir de devenir saumon.

 

Page 119

Les rochers tavelés de lichens rouille et or resplendissaient au soleil oblique, chargés de rébus impossibles à déchiffrer, de cryptogrammes gravés par les vents de sel,les calligraphies embrouillées des fientes d'oiseaux marins.

 

 

 

 

 

 

 

 



25/07/2012
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