Livre / "Le Journal d'Anne Frank" par Ari Folman et David Polonsky
Le Journal d’Anne Frank
d’Ari Folman et David Polonsky
Editions Calmann Lévy – 2017
Adaptation Graphique - 154 pages
traduit de l'anglais par Claire Desserrey
et traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin et Philippe Noble
Tout le monde connaît, au moins de nom, le « Journal d’Anne Frank », cette jeune allemande née à Francfort le 12 juin 1929 et morte au camp de concentration de Bergen-Belsen en février ou mars 1945.
Son journal écrit dans un appartement secret sous les toits d’Amsterdam pour se cacher des allemands est devenu célèbre dans le monde entier.
Ari Foldman et David Polonsky, les concepteurs de l’excellent « Valse avec Bashir » (Film d’animation et bande dessinée), ont réussi le formidable pari d’en faire un livre graphique (texte et BD) au visuel très léché. Dans une époque où la lecture se trouve en difficulté face à la multiplicité des écrans, cette initiative littéraire donne un regard neuf sur l’histoire d’Anne Frank.
Surtout elle en montre la grande modernité. Car, au-delà du récit tragique de cette famille et d’Anne en particulier, son journal (qu'elle appelle Kitty) et qui sera son confident) montre une jeune fille, presque une jeune femme, à la maturité extraordinaire pour quelqu’un de son âge. Grande lectrice, avec une qualité d’écriture affirmée, elle parle autant de la relation à ses parents (sujet récurrent dans toutes ces lettres) que de l’histoire qui est en train de se dérouler en Europe. Elle pose des questions essentielles sur ce que devrait être l’amour des parents pour leurs enfants, sur les différentes manières de s’extirper des douleurs de l’incompréhension, aussi sur l’absurdité de cette guerre, sur l’industrie de l’armement qui amplifie toutes ces tueries de par le monde.
Anne Frank la rebelle, en conflit ouvert avec sa famille, surtout sa mère et sa sœur, parle de son double, la jeune fille romantique et amoureuse. Elle porte un regard aiguisé sur la place des femmes dans la société. Son questionnement aurait toute sa place encore aujourd’hui dans les débats sur l’égalité homme-femme.
Quand on sait que cette jeune fille n’avait que 14 ans au moment de ces écrits, cela donne toute la force et la richesse de son journal.
L’adaptation en bande dessinée donne chair à ses mots, apporte une dynamique du regard et de la pensée. Ari Folman et David Polonsky n’ont pas cherché à savoir ce qu’aurait dessiné Anne Frank. Dans un choix assumé, ils ont amplifié le texte par les dessins qui leur semblaient le mieux respecter les mots du récit. Cela donne une dimension supplémentaire et riche qui ne porte pas atteinte à la vérité d’Anne Frank, mais au contraire apparaissent comme un miroir grossissant de ce que fut la vie des Frank à Amsterdam entre 1942 et 1944.
Ce texte d’une puissance inouïe a traversé les décennies porté par la volonté des descendants de la famille, ceux qui ont créée ensuite la Fondation éponyme située à Amsterdam.
La famille Frank a émigré aux Pays-Bas en 1933 où elle connaîtra une période heureuse jusqu’en 1942 et l’accélération de la solution finale par les allemands depuis leur invasion à partir du 10 mai 1940.
C’est le 6 juillet 1942 que les Frank s’installent clandestinement dans ce qui s’appellera l’Annexe en haut de l’immeuble situé au 26, Prinsengracht à Amsterdam. C’est dans ce lieu qu’Anne écrira son journal sur un carnet qu’elle avait reçu pour son anniversaire.
Le 4 août 1944, sans doute suite à une dénonciation, la famille est arrêtée puis déportée.
Anne sera envoyée au camp d’Auschwitz avant d’être amenée dans celui de Bergen-Belsen où elle mourra du typhus qui sévissait dans ce camp suite aux conditions d’hygiène catastrophiques.
Otto Frank, le seul survivant de la famille se consacra à la publication du journal d’Anne dans le monde entier. L’intégralité des droits a permis de financer des actions caritatives et éducatives. En 1963, il fonda l’AFF (Anne Frank Fonds). Buddy Elias, le cousin d’Anne, en assurera la présidence de 1996 à 2015, date de sa mort.
A présent, l’AFF de Bâle et l’UNICEF, fonds des Nations Unies pour l’Enfance, contribuent par leur engagement à attirer l’attention sur les droits des enfants et à les faire respecter dans le monde entier, sur la base des 54 articles de la CONVENTION Internationale relative aux Droits de l’Enfant, avec trois principes de base, le droit à la protection, le droit à la survie et au développement, le droit à la participation.
Extraits
Page 7
Personne ne me croira, mais à 13 ans, je me sens complètement seule au monde.
Page 9
Chère Kitty, je vais pouvoir, j'espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n'ai jamais pu le faire à personne, et j'espère que tu me seras d'un grand soutien.
Page 57
C'est impossible, ma nature m'a été donnée une fois pour toutes, et je ne saurais être mauvaise, je le sens. Je me donne beaucoup plus de mal pour satisfaire tout le monde qu'ils ne sont capables de l'imaginer, j'essaie de garder un rire de façade parce que je ne veux pas leur montrer mes souffrances.
Page 93
Dimanche 2 janvier 1944 (...) Je suis et j'étais victime d'humeurs qui m'enfonçaient (au figuré bien sûr) la tête sous l'eau et ne me laissaient voir que l'aspect subjectif des choses, m'empêchant de tenter de réfléchir calmement aux arguments de la partie adverse et d'agir dans le même esprit que celui que j'ai blessé ou chagriné par mon tempérament fougueux.
Page 141
A plusieurs reprises déjà, une de mes nombreuses questions qui viennent tourmenter mes pensées est de savoir pourquoi par le passé, et souvent aussi maintenant, le femme occupe une place mins importante que l'homme dans la société. Tout le monde peut dire que c'est injuste, mais cela ne me satisfait pas, j'aimerais connaître la cause de cette grande injustice ! (...) mais combien sont-ils, ceux qui considèrent la femme comme un soldat ? Les femmes sont ds soldats qui luttent et souffrent pour la survie de l'humanité, beaucoup plus braves, plus courageux que tous ces héros de la liberté avec leur grande gueule ! Les hommes ont beau jeu, ils n'ont pas et n'auront jamais à supporter les souffrances que connaissent les femmes.
Page 148
(...) Je ne supporte pas longtemps qu'on fasse à tel point attention à moi, je deviens d'abord hargneuse, puis triste et finalement je me retourne le coeur, je tourne le mauvais côté vers l'extérieur, et le bon côté vers l'intérieur, et ne cesse de chercher un moyen de devenir comme j'aimerais tant être et comme je pourrais être si... personne d'autre ne vivait sur terre. Bien à toi. Anne M. Frank
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