THEATRE DU PUZZLE

« Les élucubrations d’un homme

soudain frappé par la grâce »

Edouard Baer

Dessins de Stéphane Manel

Editions du Seuil  – Collection Points – Février 2021

124 pages

C’est d’abord un spectacle écrit et interprété par Edouard Baer en 2019 puis repris plusieurs fois depuis,  dont une série de représentation en juin et juillet 2023 au Théâtre Antoine à Paris.

Le comédien en a fait maintenant un livre, donnant ainsi une seconde vie à ce texte plein d’humour et de facéties, une sorte d’introspection en public qui rend hommage aux grands auteurs de la littérature.

L’histoire commence par cet acte étrange d’un comédien nommé Edouard qui fuit le théâtre dans lequel il doit jouer pour entrer en grand fracas dans le théâtre d’en face où est représentée une autre pièce « Le dernier bar avant la fin du monde » dans laquelle, bien évidemment, il n’est pas censé jouer. Edouard se livre alors sur ses peurs de monter sur scène, sur sa vie, ses envies, installé au beau milieu de la scène où un régisseur installe les derniers éléments du spectacle. Cette situation incongrue et très drôle est la source d’un long partage inattendu avec le public, avec d’autres personnages, y compris des comédiens célèbres et pourtant décédés avec lesquels Edouard semble échanger comme avec Jean Rochefort et quelques autres.

Bien sûr il est question de littérature, de théâtre, mais surtout, c’est un prétexte pour aborder les grandes questions de l’existence, de nos propres vies, en parallèle à celle du comédien. Il parle de lui, mais nous savons surtout qu’il parle de nous en miroir.

Les situations qui se succèdent provoquent parfois de grands éclats de rire. Pas de grands mots pompeux, mais le langage direct d’un type qui s’interroge sur son existence, sur de petites ou grandes interrogations de l’histoire des humains comme celle de savoir comment Napoléon pouvait parler sans micro à 800.000 soldats avant la campagne d’Egypte, à se faire entendre par eux puis se faire acclamer pour ce qu’il avait scandé. 

Edouard est quasiment seul sur scène, mais ça n’a rien d’un monologue. S’il parle, c’est parce qu’il y a un public à qui il s’adresse directement. Il l’interpelle, joue de sa fausse gêne personnelle. Il  joue à déranger les spectateurs alors qu’il dit ne vouloir déranger personne, encore moins ce public qui est censé être venu voir un autre spectacle.  La situation permet toutes les audaces, toutes les fantaisies, ce qui rend ce texte encore plus drôle.

Aussi, à défaut d’avoir vu « Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce » sur scène, il vous restera le livre qui  est un petit bijou d’humour et d’hommage au mot, à la pensée, à la vie.

Extraits 

Page 9 

"Le contraire d'une représentation théâtrale dont on dit qu'elle consiste à "mettre debout" un texte ; ici "on couche" sur la papier un texte qui a été écrit debout, en public."

Page 69

"Les mots portent chance. Fréquentez-les, crachez-les. Soyez le bouffon du royaume des Ténèbres. C'est crevant. Vraiment crevant. Et, hop, on attaque un autre paragraphe. 

Page 71

J'y retourne parce qu'il faut bienfaire quelque chose entre sa naissance et sa mort.

Page 79

Pourquoi rester assis alors que la vie n'est que mouvement ?

Page 97

Quand j'avais 15 ans, j'avais l'impression que c'étaient els gens qui changeaient la vie. Même si on ne voit pas tellement changer les grands évènements, l'Histoire en marche, on peut changer le point de vue, l'atmosphère, avec une certaine grandeur des mots. La façon de les vivre. Les mots, ils ne sont pas toujours menteurs ou manipulateur... Il y a des mots qui nous tiennent à bout de bras, qui nous font voir la vie en beau..."

Page 119

Vous êtes à la fois un héros et un enfant. C'est pas mal si on arrive à devenir l'un sans cesser d'être l'autre.