Livre / "Lettres d'Auberive" - Louise Michel
Lettres d’Auberive
Louise Michel
Editions Abbaye d’Auberive – L’œuf Sauvage
2006 – 147 pages
Native de Haute-Marne, Louise Michel avait quitté sa région en 1856. Elle avait 26 ans. Enseignante, elle rejoint la capitale dans l’impatience de sa jeunesse pour y poursuivre son instruction et tenter une carrière d’écrivain. C’est à Paris qu’elle se radicalisera politiquement au contact de ses compagnons de lutte, notamment pendant la période de la Commune en 1871. Elle sera arrêtée et jugée par un tribunal militaire. Envoyée à la sinistre prison pour femmes de l’ancienne abbaye cistercienne d’Auberive, elle y restera incarcérée du 24 décembre 1871 au 24 août 1873 avant d’être envoyée au bagne en Nouvelle-Calédonie.
Le couloir des cellules où étaient incarcérées les femmes à Auberive. C'est dans la cellule n°5 qu'a vraisemblablement séjournée Louise Michel.
D’Auberive, il reste ses poèmes et sa correspondance avec l’Aumônier dès le lendemain de son arrivée, les hommes du pouvoir politique et judiciaire qui l’ont condamnée dont le Président de la République, l’abbé, sa mère, sa cousine Marie Laurent et sa tante, et même Victor Hugo… Les écrits sont fréquents, plusieurs par semaine.
Abbaye d'Auberive, Haute-Marne
Par ces lettres qu’elle envoie ou reçoit, nous découvrons une Louise Michel toujours aussi engagée dans la lutte politique, qui refuse tout compromis pour elle, malgré les sollicitations d’intervention de diverses personnalités en sa faveur, notamment pour lui éviter un départ pour le bagne. On prend aussi conscience de son engagement profond pour ses autres codétenues qui souffrent ou qui ont peur. Pour elles, elle demandera des interventions de personnes ayant la possibilité d’intercéder en leur faveur. C’est une femme d’une profonde humanité qui fera tout pour adoucir les conditions de détention de ses camarades.
Louise Michel en uniforme de fédérée lors de la Commune en 1871
L’échange de courrier montre également l’évolution du lien compliqué avec sa mère. De cette correspondance, le livre n’évoque que les lettres qu’elle reçoit. Mais on devine l’attachement profond entre la mère et sa fille tout comme les difficultés qu’elles ont à se comprendre. Sa mère lui demande souvent de faire des compromis, de retrouver un chemin apaisé, d’acceptation de la réalité et des convenances. Louise ne transigera jamais malgré l’amour qu’elle porte à sa mère.
De la même façon, on découvre l’admiration de sa cousine pour l’engagement sans faille de Louise Michel. Elle aimerait tant avoir cette force de caractère. Sans cesse elle évoque la difficulté pour elle de vivre sans elle, de la savoir incarcérée, la peur de ne plus la revoir.
En parallèle, Louise Michel envoie des courriers incendiaires aux services de justice qui l’ont condamnée, rappelant les anniversaires des exécutions de ses camarades de combat.
Cellule de prisonnière à Auberive
Au travers de ces courriers, se tisse un portrait complexe de cette femme qui a marqué l’histoire. Rassembler ces lettres est une manière originale d’aborder la vie de Louise Michel, mêlant le quotidien basique des prisonnières, leurs questions et leurs doutes, leurs peurs, les liens tissés avec l’extérieur. On replonge dans une fin de XIXème siècle agitée, vue par la vie de femmes et d’hommes impliqués dans leur époque. Par sa situation à la campagne, on peut mieux comprendre la vie rurale de cette époque ainsi que les mouvements urbains.
Voilà un petit bouquin à découvrir.
Extraits
Page 10 - Poème "Hiver et nuit"
Soufflez, ô vents d'hiver, tombe toujours, ô neige,
On est plus près des morts sous tes voiles glacés.
Que la nuit soit sans fin et que le jour s'abrège :
On compte par hivers chez les froids trépassés...
Pages 17-18
... Les braves de la République
Sont morts au pied des ces poteaux !
Là pour un coeur patriotique
Vous étiez dix mille bourreaux,
Arrière, les traîtres infâmes,
Ce n'est pas là que vous mourrez !
Mais de loin vous le reverrez
Dans l'épouvante de vos âmes.
Tuez, tuez toujours par millions !
Nous reviendrons,
Morts ou vivants, par sombres légions.
Page 59 - Lettre à Victor Hugo - 13 avril 1872
Bien cher Maître,
j'apprends par une amie que vous voulez bien désirer une lettre de moi. J'ignorais que je puisse vous écrire, j'ignore de même si ceci vous parviendra. (...) Vous savez les vieilles légendes des frères d'armes, les miens ont eu l'honneur de mourir pour la cause. On n'a pas été si généreux avec moi.
Page 69 - Lettre de Marie Laurent, cousine de Louise Michel - 21/07/1872
Ma cousine bien-aimée,
Vous ne sauriez croire combien cette promesse faite à vos mais est satisfaisante et que l'espoir cette phrase a fait naître en mon coeur (je vivrai, je vous le promets).
Votre âme poétique a raison de quitter quelquefois le domaine du rêve et des songes terribles pour se rendre un compte exact de la réalité aussi pénible qu'elle soit pour vous que le hasard a si mal favorisée en vous laissant le plus mauvaise part : le devoir de vivre. Il n'y a pas lieu e plaindre ceux pour qui la mort a été récompense et délivrance. Préoccupez-vous plutôt de ceux qui survivent. je crois qu'il y a encore des coeurs droits et fermes qui se souviendront...
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