Livre / "Suite(s) Impériale(s)" de Bret Easton Ellis
SUITE(S) IMPERIALE(S)
de Bret Easton Ellis
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Guglielmina
Editions Robert Laffont / 2010
Editions France Loisirs / Juin 2011
238 pages
Suite de "Moins que zéro", le premier roman de Bret Easton Ellis, "Suites Impériales" nous plonge dans le monde du cinéma à Los Angeles, derrière l'apparence et les paillettes, dans le secret sordide des limousines, des grands hôtels de luxe. La manipulation et les trahisons en sont les maîtresses.
Clay, jeune héros de " Moins que zéro" revient à Los Angeles. Vingt ans après, il est devenu un scénariste reconnu dont le nom est même associé aux producteurs du prochain film. Il retrouve ceux qu'il a côtoyés vingt ans plus tôt.
Mais derrière l'argent, le luxe, le sexe, l'alcool, les grandes fêtes, c'est un monde miné de l'intérieur dans lequel vivent des personnages à la dérive. Clay le devine très rapidement car dés son arrivée, il se sait suivi, regardé, menacé sans que la menace au départ ne dépasse de simples SMS sur son I-Phone.
La mort rôde partout comme le mensonge.
Dans un univers parasité par l'ambition, l'orgueil et l'arrivisme, chacun est prêt à tout pour obtenir ce qu'il désire : baiser, payer, manipuler, briser, tuer même.
Bret Easton Ellis nous parle d'un monde violent dans lequel chaque compromission, même la plus petite, est un pied posé dans un engrenage infernal duquel il est difficile de sortir. Et quand de vrais sentiments commencent à émerger, ils en viennent à heurter les codes tacites mais jamais explicités qui admettent comme dans un jeu que tout est faux, que les dés sont pipés d'avance, avec cette terrible constatation : quoi qu'on fasse, on reste prisonnier.
Une attirance très forte entre deux êtres ? Ce n'est pas un amour à naître, mais seulement un rôle à obtenir ou un statut à conforter.
Un rendez-vous professionnel ? Une lutte pour un pouvoir à consolider avec la menace non feinte qu'une vie peut se détruire en très peu de temps.
Ce monde factice est le décor oppressant de ce roman qui peut se lire même sans avoir découvert la première partie, "Moins que zéro". La dérive des personnages se poursuit dans un univers finalement assez semblable où la défonce, l'alcool et le sexe ont la part belle et cruelle.
Derrière cette histoire (ces histoires mêmes puisque "Moins que zéro" en était le premier opus), Bret Easton Ellis, écrivain né en 1964, se pose en moraliste, nous interroge sur le sens d'une vie, sur le sens d'aimer, de notre lien aux autres. Son héros Clay concluera par une phrase peu sibylline : "Les effacements, les dissolutions, les scènes réécrites, toutes les choses que l'on chasse - je veux maintenant les lui expliquer, mais je sais que je ne le ferai jamais, la plus importante étant : je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens."
De quoi méditer par les temps qui courent sur ce que nous faisons ensemble et séparemment de nos vies. De quoi mieux comprendre aussi une certaine Amérique...
Extraits
Page 12
C'était comme ça que j'étais devenu le garçon qui ne sauverait jamais la vie à un ami. C'était comme ça que j'étais devenu le garçon qui ne pourrait jamais aimer la fille.
Page 28
... une chanson d'autrefois, "Hungry Like the Wolf", se détachant à peine du brouhaha qui monte de la boîte de nuit, me transformant pendant un long moment en quelqu'un de jeune et de vieux à la fois. La tristesse : elle est partout.
Page 37
A l'intérieur, le pianiste enchaîne des riffs de jazz sur des chants de Noël. Je me concentre sur la musique. Je suis déconnecté de tout. C'est à ce moment de la nuit où j'entre dans la non-zone et je n'en sors plus.
Page 71
- C'est un plan, ironise Kit. Euh, très subtil.
- C'est une philosophie, renchérit quelqu'un d'autre.
- C'est comme ça que çamarche pour moi, tout simplement.
Page 79
C'est quelqu'un qui essaie de rester jeune parce qu'elle sait que ce qui compte le plus, c'est l'apparence juvénile. C'est censé faire partie de la séduction : tout maintenir jeune et lisse, tout maintenir à la surface, même si l'on sait qu'elle va craqueler et ne pourra être maintenue à jamais - en tirer avantage avant que la date de péremption ne se rapproche.
Page 82
... parlant machinalement sur son portable, sans interlocuteur, sa ruse d'autodéfense, sa façon à elle de combattre les regards en refusant d'admettre leur existence. Ces regards sont toujours de sombres souvenirs dans la vie d'un jolie fille de cette ville.
Page 88
"Les vampires ne rôdent pas dans les couloirs, finit-elle par murmurer, après avoir recouvré ses esprits. Les vampires sont les propriétaires des appartements."
Page 92
Je peux soudain voir mon reflet dans un miroir à l'angle de la chambre : un adolescent à l'air vieux.
Page 92
... des paquets de cocaïne, l'autre carburant du sexe, ce qui m'avait aidé à rendre le fantasme plus singulier et innocent qu'il ne l'était en réalité, ce qui m'avait permis de faire semblant de croire que le désir était partagé.
Page 93
... Le monde est en train de se transformer en film de science-fiction - parce que rien de ce qu'il est n'a quoi que ce soit a voir avec moi en réalité. C'est un monde où se défoncer est la seule option.
Page 119
Le silence qui noie absolument tout semble donner des intentions menaçantes même aux silhouettes les plus innocentes.
Page 135
- Comment peux-tu vivre ça ?
- En faisant semblant de ne pas vivre comme ça.
Page 173
- Mais est-ce que j'aurais été celui que tu voulais vraiment ? (...) Ou est-ce que j'aurais été celui que je voulais vraiment être ?
- Ce que tu veux vraiment n'existe pas, Clay.
Page 180
"ça veut dire que tout est une illusion."
Page 186
"Mais nous écrivons le film ensemble, Baby.
- Non ! s'écrie-t-elle, un masque d'angoisse sur le visage.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Je ne fais que jouer un rôle."
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