"Un jour avant Pâques" de Zoyâ Pirzâd - 2008
« Un jour avant Pâques »
De Zoyâ Pirzâd
Editions Le Livre de Poche – Zulma - 2008
Traduit du persan (Iran) par Christophe Balaÿ
139 pages
Ce petit ouvrage trouvé par hasard dans une boîte à livres de Dordogne (à Cénac plus précisément) est une pure merveille.
Il s’agit de l’histoire d’un homme de la communauté arménienne, de sa jeunesse à ses vieux jours dans l’Iran d’un autre temps.
Edmond, c’est son prénom, raconte des bribes de sa vie dans un désordre apparent qui cache pourtant une logique claire, parsemée de menus souvenirs d’ici et là, faisant écho à l’inexorable marche du temps.
Dans ce pays d’avant la révolution islamique où les religions se côtoyaient plus paisiblement qu’aujourd’hui, Edmond découvre la richesse de cette diversité face aux orthodoxies communautaires, entre autres dans sa famille chrétienne.
On le voit enfant avec son amie musulmane Tahereh. On le retrouve mari de Marta et père d’Alenouche dans la tradition arménienne.
Plus qu’une chronique touchante sur le temps d’une vie, ce sont aussi des échos à nos pensées, nos rapports aux autres dans ce qui nous semble différent.
Tout en douceur, comme des perles d’histoires, Zoyâ Pirzâd nous dresse les portraits de personnages disparates dans un monde oriental qui n’existe plus. Une forme de coexistence apaisée malgré les clivages évidents. Cela se passe au Loristan pas loin de la mer Caspienne puis à Téhéran, comme, pour nous, cela pourrait se passer ailleurs. Voilà pourquoi ce petit roman est très touchant, parce qu’Edmond, Marta, Alenouche, Behzad, Danik et tous les autres, ce pourrait être nous, entre nostalgie, amour et souvenirs.
Et puis, il y a ce pays fascinant, l’Iran, et les gens peints ici dans une prose sensuelle où chaque détail a son importance tel un tableau où chaque touche de pinceau est posée avec une extrême délicatesse. La description de la mère de Tahereh en est un exemple parfait.
« Ce fut la mère de Tahereh qui m’ouvrit la porte de bois. Son tchador avait glissé sur les épaules. Elle me regarda en souriant et leva doucement la main pour écarter la longue mèche de cheveux lisse qui lui barrait le front. Parmi toutes les femmes que je connaissais, la mère de Tahereh était la plus mince et la plus grande. Elle parlait peu. Je ne l’avais jamais entendu rire bruyamment. Elle ne marchait pas, elle glissait. Chaque fois que je la voyais, elle me faisait penser à la houle marine qui vient chatouiller les coquillages sur les bancs de sable avant de les retirer calmement. A mes yeux d’enfant de douze ans, la mère de Tahereh était la plus belle femme du monde. »
L’auteure Zoyâ Pirzâd fait partie des romancières et romanciers qui ont fait découvrir la littérature persane au monde. Traductrice, elle est aussi une nouvelliste hors-pair.
Ses textes ont été traduit en français pour la première fois en 2007 par les éditions Zulma. En 2009, elle a reçu le prix Courrier International du meilleur livre étranger pour son recueil de nouvelles « le Goût des kakis ».
Extraits
Page 9
La maison de mon enfance était mitoyenne avec l’église et l’école.
La cour, comme dans toutes les maisons des petites villes côtières, était remplie d’orangers sauvages. Un massif bordait la véranda du rez-de-chaussée. Mon père y plantait ses fleurs au printemps et pendant l’été. Dés l’automne, il était inondé jusqu’en hiver.
Page 12
La maison de Tahereh et de ses parents n’était qu’une toute petite pièce au rez-de-chaussée ; il n’était pas possible d’y jouer. De plus, si mon père venait à apprendre que j’allais chez le concierge, il en faisait toute une affaire, nous obligeant, ma mère et moi, à supporter un long sermon sur les différences sociales, religieuses et ethniques.
Page 14
« Au printemps, disait ma mère, quand tu vois la première coccinelle, il faut fermer els yeux et faire un vœu. » Moi, je n’avais pas d’autre vœu que celui de voir une coccinelle.
Page 22
Ma mère me caressa la tête : «A planter des « si », on ne récolte pas de concombres. Tout le monde finit par mourir. Lève-toi, va vite dire bonjour à ta grand-mère. »
Page 34
Ce fut la mère de Tahereh qui m’ouvrit la porte de bois. Son tchador avait glissé sur les épaules. Elle me regarda en souriant et leva doucement la main pour écarter la longue mèche de cheveux lisse qui lui barrait le front. Parmi toutes les femmes que je connaissais, la mère de Tahereh était la plus mince et la plus grande. Elle parlait peu. Je ne l’avais jamais entendu rire bruyamment. Elle ne marchait pas, elle glissait. Chaque fois que je la voyais, elle me faisait penser à la houle marine qui vient chatouiller les coquillages sur les bancs de sable avant de les retirer calmement. A mes yeux d’enfant de douze ans, la mère de Tahereh était la plus belle femme du monde.
Page 59
- Je ne comprends pas pourquoi tu as m peur de cet endroit ! me dit-elle. Ils sont tous morts. Il n’y a pas de raison d’avoir peur d’un mort. Tu crois qu’un mort va te frapper ? T’embêter ? Papa, lui, il nous frappe ma mère et moi. Il nous embête. Moi c’est de papa que j’ai peur. Non ! Je n’ai pas peur. Je le hais ! S’il pouvait mourir !
Page 75
Ma pauvre mère n’avait jamais le courage de rien faire. C’est sans doute pourquoi elle était toujours fatiguée.
Page 112
Les personnages de mes petits matins étaient comme j’aimais qu’ils fussent : mon père courtois et affable, ma mère riant tout le temps, mes professeurs indulgents. Ma tante et ma grand-mère éprouvaient pour ma mère de l’affection.
Page 129
- Je viens de Loristan.
J’observe les pensées : quatre caisses de blanches.
- Un si beau pays ! Pourquoi l’as-tu quitté pour venir à Téhéran ? Tu ne regrettes pas ?
Il déplace quelques pots de lierre.
- C’est la vie Monsieur. Un bel endroit sans rien à manger, à quoi ça sert ?
Iran, Mer Caspienne
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