William (La Grande Ceinture)
Paroles de William, personnage de la Grande Ceinture
"La Grande Ceinture" a poursuivi sa route. Le personnage virtuel que je suis s'en est réjoui pour des raisons humaines, profondément humaines. Si j'existe, si Maureeen ma femme virtuelle existe, c'est pour dire ce que peut devenir le monde, ce qu'il est déjà devenu à certains endroits sur la Terre, peut-être même déjà en France. Et plus notre histoire est racontée, plus des gens pourront débattre et penser une autre façon de vivre, avertir et rester en état de vigilance.
Car de la "social-fiction" à la réalité, il n'y a qu'un pas qui se franchit déjà. Sans doute des personnes, "vraies" celles-ci, peuvent déjà reprendre mes propos mot pour mot. Et c'est sans doute cela le plus terrible.
William
Dans la première version de "La Grande Ceinture", en 2001, dans une des scènes, je répondais au docteur qui me demandait de tenter ma chance pour un boulot où il n'y avait qu'une cinquantaine de postes pour des milliers de candidats :
"Vous ne vous rendez pas compte Docteur. On va mettre de l'énergie dans un projet qui sera une utopie pour 90 % des candidats. On aura laissé ce qui nous reste de dignité. Nous n'aurons même plus de larmes pour pleurer. Et plus de force pour nous faire cuire des nouilles. Non. Tout cela n'est pas pour moi. Non. Je ne veux plus rêver. D'ailleurs je ne peux déjà plus rêver. Même la nuit. Quelquefois des images m'arrivent en plein sommeil. Des types balafrés armés de flingues s'approchent de la maison. Je vois leurs ombres par la fenêtre entre deux voitures qui repartent vers l'autoroute avec le plein d'essence. Et puis soudain, il n'y a plus de voiture. La maison s'est envolée vers la ZND (Zone de Non Droit) sans qu'on se rende compte de rien. Alors là, je me réveille en sursaut, le corps en sueur. Maureen est endormie, là, à mes côtés, Elle est belle, toute recroquevillée sous les draps, comme un petit chat à l'abri. Et j'aperçois encore par la fenêtre les voitures qui s'élancent vers la Grande Ceinture. La maison est calme comme maintenant. On devine juste l'animation de l'aire de repos : la pompe à essence, la boutique et ses bruits de portes. La nuit ne m'apporte plus de rêves Docteur. Seulement des cauchemars. Et le matin, quand je repars bosser, j'ai honte de laisser ma femme à sa trouille. Je la rassure bien évidemment, mais moi aussi je suis mort de peur parce que je ne sais pas si je rentrerai vivant le soir. Parfois, je vous imagine Docteur, arrivant à ma place et annonçant à Maureen que je suis mort à un croisement d'avenues de la ZND. Pourtant je vis avec cette angoisse dans le ventre qui fait que je suis en éveil permanent dès que j'ai mis un pied dans le véhicule, surtout lorsque je traverse la ZND, jusqu'aux grilles barbelées de mon boulot. Et, au retour, jusqu'à ce que j'ai garé la bagnole à côté de la maison, sur l'aire de la Grande Ceinture. Vous ne pouvez pas comprendre Docteur, juste m'entendre. Il n'y a pas de mots pour expliquer ce que je ressens. En face de Maureen, je fais celui qui est fort, le costaud à qui rien ne fait peur. Mais parfois je me demande si ce n'est pas moi qui supporte le plus mal cette situation, quand la trouille s'infiltre jusque dans la moëlle des os."
Et notre histoire c'est aussi la violence du travail précaire qui nous fait craindre le retour vers la ZND. Comme la violence potentielle d'une épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête. Une épée ou un coup de couteau, me direz-vous, c'est toujours une lame tranchante. Pourtant, je peux vous assurer que notre voix est une voix d'espoir. Par le constat brut de cette période de notre vie, on ose espérer, comme les écrivains qui évoquent le pire, que ce sera l'occasion de relever la tête. Au lieu de combattre ces états de vie en les niant, leur représentation brutale garantit les yeux ouverts. La pensée aussi s'affirme et par elle, à la différence de nous, personnages d'un monde de littérature, de vrais humains se relèveront et tiendront debout. De ce semblant d'imaginaire peut naître une véritable humanité.
De public en public, de salle en salle, comme des îlots de résistance parmi des milliers d'autres dans un monde comptable et souvent déshumanisant, nos voix portent cette autre vie, celle de tous ceux qu'on n'entend plus parce qu'ils ont baissé les armes. Pourtant, ce qu'ils ont à dire donne à apprendre de cette humanité que nous perdons jour après jour. Ainsi Maureen et moi, autant paradoxal que cela puisse paraître, aimons que se rejoue notre histoire quelque peu tragique. Nous, les êtres virtuels nous ne mourons jamais parce que c'est notre histoire racontée qui fait notre vie. Et quand les acteurs boivent un bon coup après la représentation, en quelque sorte, nous buvons avec eux comme des fantômes heureux qui les accompagnent dans le bonheur d'avoir partagé.
Jouez encore, Gens du Puzzle. Venez, Public, les voir encore. En les voyant, c'est nous que vous verrez et tous ceux, les vrais, en chair et en os, qui vivent vraiment cela ou qui le vivront si nous ne faisons rien.
Maureen
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