THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Un acte gratuit / Pascal Marchand

Le sens d'un acte "gratuit"



 


Peut-on oser la gratuité de l'acte dans un monde où tout acte en direction de l'autre est empreint ou suspect d'intérêt personnel, que ce soit un intérêt pécuniaire, un intérêt affectif, un intérêt de pouvoir ?


 

Il ne faut pas s'illusionner : tout acte d'une personne vers une autre n'est jamais totalement gratuit. Les êtres humains vivent de la reconnaissance d'autrui. Ainsi toute action, quelle qu'elle soit, en direction d'un de nos semblables est une manière d'exister dans son monde. Sans que ce soit un échange donnant-donnant, communiquer quelque chose de soi, montrer une forme d'impudeur, c'est admettre que le regard de l'autre nous est important.


Mais ce n'est pas de cette gratuité-là dont je veux parler. Elle fait partie de la normalité du lien au monde. Notre existence n'a de sens que par le lien social qui nous unit à l'humanité.


 

Je pense à la gratuité en lien au plaisir, à la nécessité naturelle. La gratuité proche de l'acte spontané de dire ou d'agir qui fait qu'on peut donner simplement parce qu'on en a envie, parce que ça nous fait plaisir, parce qu'humainement, on sait l'autre comme une nécessité pour nous. Il me revient en tête une image de Dersou Ouzala (le magnifique livre de Vladimir Arseniev, qu'Akira Kurosawa a superbement adapté au cinéma / Oscar du meilleur film étranger 1976). Dersou, le vieux chasseur de la Taïga, se déplace dans la forêt, de cabane en cabane, que des hommes ont bâties pour se protéger du froid. A chaque fois qu'il en quitte une, au matin, il laisse du bois et des allumettes, parce qu'il sait qu'un autre chasseur, s'il égare, pourra survivre grâce à cet acte gratuit. Dersou ne connaît pas celui qui viendra. Il sait seulement que, lui, quand il arrive dans une de ses cabanes, il trouve des allumettes et du bois,  laissés par un autre, un inconnu, et que lui, là, maintenant, il peut faire un feu, qu'il peut se faire à manger, qu'il peut vivre quoi !


 


 

 

Dersou Ouzala

 

 


L'acte gratuit, c'est penser l'autre, même celui qu'on ne connaît pas, comme quelqu'un d'important. C'est oser signifier sa propre pensée pour cet autre comme faisant partie de l'ordre des choses, non comme une naïveté d'illuminé qui n'aurait pas compris qu'on doit cacher son ressenti au nom d'une certaine pudeur, d'une soit-disant attitude « adulte » qui devrait mettre de la distance et de la retenue.


 

Dire les choses, c'est accepter l'intimité du lien, la réalité affective de sa propre personne dans l'échange.

 


Dans notre monde où l'intérêt personnel prime dans les transactions entre humains, oser la gratuité ressemble à un bâton pour se faire battre. Pourtant, il me semble que cela est nécessaire si on veut redonner un sens à nos vies. Pour cela, peut-être la difficulté se trouve-t-elle dans le choix des personnes à qui on donne notre confiance. Oui, choisir et en même temps penser que tout un chacun, d'une certaine façon, nous est nécessaire. Dans une vision humaniste du monde.


 

C'est peut-être cela qui peut permettre de quitter l'engrenage de la peur subjective suscitée chez l'autre par les visions sécuritaires d'aujourd'hui.

   

 

 



30/05/2009
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