THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Quand l'ultrafontionnel prend le pas sur l'humanité d'un rendez-vous... - Pascal Marchand

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Dans les têtes d'humains atterrés, des milliers de mots disent un printemps, un été puis un automne dans la bousculade d’un désordre du monde, d’une explosion des habitudes quand personne ne sait plus rien, même au plus haut niveau des états, chaque jour apportant son lot de nouvelles qui, souvent, contredisent les vérités d’hier et qui seront, à leur tour, invalidées par celles de demain. Les certitudes ont volé en éclats, même la science que tout le monde interroge est dans le doute, dans un inconfort qu’elle n’avait jamais autant connu, pressée qu’elle est de donner des réponses rapides et précises aux multiples questions complexes qui l’assomment. Ce qu’elle n’avait jamais eu à faire auparavant, au moins dans un temps aussi restreint.
 
 
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Pendant ce premier confinement de deux mois, on a souvent entendu dire qu’à partir de ce printemps le monde ne serait plus jamais comme avant. Pourtant à y bien regarder, rien n’a vraiment changé. La machine économique a réenclenché ses rouages habituels souvent secoués par des couacs qui rappellent que le coronavirus est toujours là. La quête de l’argent, les volontés de croissance, même contestées, cherchent toujours à réguler la vie. Les laboratoires se sont lancés, à coups de millions, dans des recherches pour être les premiers à valider un vaccin qui, au-delà d’un début d’éradication d’une nouvelle maladie, sera avant tout le moyen de déposer un brevet permettant d’engranger d’énormes bénéfices. La course au profit reprend de plus belle, même avec des enjeux vitaux de santé publique, des besoins urgents d’équilibres sociétaux. L’argent avant les gens. Comme avant. Comme toujours. Les intérêts financiers avant la santé. Le nouveau monde ressemble à s’y méprendre à l’ancien, parfois en pire. Pour les opportunistes, de belles occasions se présentent avec de nouveaux marchés porteurs et très juteux : fabrication de masques ou de produits désinfectants par exemple. Les productions décuplent, centuplent. Distributeurs de gel sur pied, rouleau de rubalise, bandes autocollantes de marquage au sol, panneaux d’interdiction ou de sens unique, tout ce qui concerne l’hygiène… De quoi se faire des fortunes. Certains n’ont pas hésité une seconde. Dans ce monde, chaque crise est une opportunité pour gagner beaucoup d’argent. Il suffit de mettre ses principes de côté et de surfer sur le bonne vague, quitte à vendre aux plus offrants, même au dernier moment malgré les accords signés, comme ce fut le cas pour les masques de protection durant les transits dans certains aéroports où la marchandise a changé de direction en dépit des commandes fermes pour d’autres destinations. Des liasses confortables de billets de banque plus importantes que les chiffres au bas d’un document chèrement négocié auront suffi à invalider les contrats. Toujours l’argent avant la force d’un engagement.
 
 
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En parallèle, la peur s’est insinuée jusque dans les lieux de vie les plus intimes. Les familles, les amis, les voisins, les collègues. On ne s’embrasse plus, on ne se touche plus, on ne s’approche plus. On se lave les mains plusieurs fois par jour à coups de gel hydroalcoolique. L’inquiétude croît d’un cran dés que s’annonce un début de fièvre, un nez qui coule ou une toux après un coup de froid.
« C’est le Covid ? »
La question est sur toutes les lèvres. On se teste massivement même si, testé négatif un jour, on peut attraper le virus le lendemain.
 
 
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Les magasins ressemblent à des circuits fléchés, à sens unique, empruntés par des clones masqués dont on ne sait jamais s’ils sourient, s’ennuient ou s’agacent. Des fantômes tous autant semblables les uns que les autres. La négation complète de l’individu dans ce qu’il a de particulier et de reconnaissable. Les commerçants, les caissières dans les magasins où chaque jour la population va se ravitailler sont réduits à une paire d’yeux articulés gommant toute expression réelle du visage. Pour certains, personne ne connaît leur véritable faciès comme à l’inverse ils ne connaissent celui de leurs clients. Chaque jour, pour un paquet de cigarettes ou l’achat d’une baguette de pain, on dit bonjour à quelqu’un qu’on serait incapable de reconnaître sans masque dans la rue, comme lui-même, elle-même, passerait devant nous sans deviner que nous sommes un de leurs clients habituels. L’émotion palpable de la rencontre de deux regards a quasiment disparu, réduisant l’achat à un simple échange commercial. Un produit contre de la valeur argent. L’ultrafonctionnel a pris le pas sur l’humanité d’un rendez-vous.
 
 
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La nouvelle vie ressemble à s’y méprendre à un film de science-fiction effrayant où la normalité prend les traits des pires cauchemars d’hier. Tout le monde se méfie de tout le monde. On s’écarte au passage d’un inconnu. L’autre est devenu avant tout un ennemi potentiel capable de rendre malade plutôt qu’un congénère pour le plaisir d’un partage.
 
Les informations alarmantes circulent en boucle sur les écrans, les journaux et les panneaux d’affichage. On ne sait plus à la fin si les chiffres parlent de malades, de morts, de testés positifs, d’hospitalisés en réanimation ou d’asymptomatiques. Des régions passent du vert au rouge, puis redescendent à l’orange, pour revenir au vert ou à un rouge rosi, d’une semaine sur l’autre, ici mais pas là-bas, là puis plus là, le tout dans un enchaînement sans fin. Le masque devient obligatoire dans certaines villes et pas dans d’autres, ou pas dans tous les quartiers, pas à toutes les heures, puis à des horaires nouveaux. Un couvre-feu est instauré dans certaines grandes métropoles de vingt-et-une heures à six heures du matin, mais pas dans d’autres. Puis celles-ci sont visées à leur tour pendant que d’autres en sortent ou qu’un arrêté préfectoral écarte une des communes en banlieue d’une métropole de la zone de confinement nocturne, suite à une plainte d’un maire ou d’un élu, validée par la justice. Puis d’un coup, le pays entier passe de nouveau à l’état de nouveau confinement généralisé avec masque obligatoire presque partout, mais avec des établissements scolaires ouverts, une économie qui fonctionne au ralenti avec des gens qui circulent encore, transportant autant les marchandises que le virus.
 
On découvre par hasard, en tombant sur un article de journal qu’une petite ville de province, même une petite commune rurale, où l’on a coutume de se déplacer, où aucune nouvelle particulièrement inquiétante n’annonce un regain de contamination, elle aussi a décidé de rendre le masque obligatoire dans la rue depuis un certain temps déjà alors que la veille on s’y trouvait encore, que la moitié des passants ne portaient pas de protection sur le visage. Sans le savoir, d’un coup, sans masque dans les artères de la cité, on devient dangereux alors qu’une semaine plus tôt, on était un homme ordinaire. De citoyen lambda et anonyme, on devient presque un criminel contaminateur.
 
A moins de suivre l’actualité au jour le jour, presque heure par heure, il est impossible de s’y retrouver dans ce méli-mélo de nouvelles et de contre-nouvelles qui crée un climat anxiogène au possible. Tout se mélange dans les esprits. Un engrenage infernal sans queue ni tête. La vie se réduit au temps du travail, l’application réelle du métro-boulot-dodo, dans un univers contrôlé où le fantomatique ministère de la Vérité se cache derrière un langage proche de la novlangue. A cela on peut ajouter la télévision, celle-là même qui diffuse en boucle les informations les plus inquiétantes. Les loisirs sont peu à peu condamnés à disparaître. La prophétie d’Orwell commence à prendre forme.
 
 
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La boucle est bouclée. La peur orchestrée, consciemment ou pas, finit par faire tolérer, avec bienveillance, en temps de démocratie ce que les dictatures les plus brutales avaient échoué à obtenir : l’obéissance servile sans rébellion de masse. Tout individu questionnant le système défaillant, rebelle sans le savoir, devient de fait un irresponsable inconscient des risques encourus. Pourtant certains posent crûment les questions liées aux libertés publiques ou au contrôle des populations. Bien sûr, la situation est grave, disent-ils, mais n’y a-t-il pas des abus de pouvoir ici ou là ? N’y a-t-il pas des absurdités qui condamnent les uns et absolvent d’autres comportements pourtant plus à risque ? Dans les espaces collectifs, des mesures sont sensées assurer la sécurité sanitaire. Au même moment, dans ces mêmes espaces, des conseils contradictoires et des pratiques tolérées viennent annihiler le sens préventif des premières. Il était dangereux de manger au restaurant ou d’aller au cinéma après vingt-et-une heures mais cela ne posait aucun problème de s’entasser par centaines dans le métro à huit heures du matin.
 
Les paroles de Stéphane Hessel reviennent en mémoire et la question posée par Henry David Thoreau, Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela résonne avec plus de force encore : le légal est-il légitime ? Tout le monde se couvre, se protège contre d’éventuelles plaintes ou poursuites judiciaires. Même les petits préfets de province se mettent au diapason de leurs collègues des grandes cités fortement touchés par l’épidémie. C’en est presque un concours à qui prendra le plus de mesures contraignantes pour montrer qu’ils ne sont pas inactifs. On ne pourra pas dire qu’ « ils » n’ont rien fait. « Ils » ont pris des mesures qui, à défaut de sens, prouveront qu’ « ils » étaient aux commandes, qu’ « ils » ont pris les bonnes décisions, et donc qu’ « ils » ne sont pas condamnables. La situation sanitaire aura-t-elle progressé positivement ? Peut-être ou peut-être pas, ce n’est pas réellement leur question centrale. « Eux » ont fait ce qu’ils devaient faire dans l’urgence changeante d’une société précaire qu’on ne maîtrise plus. Tout semble tourner à l’envers, ou plutôt de manière complètement aléatoire. Qu’est-ce que sera demain ? Et surtout, que nous dit ce monde dans ce qu’il montre de l’existence humaine ? La machine économique perd les pédales, engloutit les âmes, bien pire qu’avant la déroute.
 
 
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Où est le sens ? Les numéros et les nombres parlent à la place des hommes, offrant peu de compréhension si ce n’est qu’ils apportent davantage d’’anxiété. Des suites de chiffres souvent sans lien à une réalité humainement imaginable. Les dizaines de milliers de victimes, des pourcentages qui marquent les évolutions inconstantes de la situation sanitaire, l’âge des contaminés, le temps d’attente pour se faire tester, le nombre de clusters, le taux d’incidence, l’indice de contamination, le taux de positivité des tests, le nombre de passage aux urgences pour suspicion, le niveau de vulnérabilité, les centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, le nombre de commerces grandissant qui se déclarent en faillite, les milliards d’euros investis ou perdus, la chute du PIB et de l’activité économique, les chiffres de la spéculation d’une bourse aux abois dans la crainte de bulles financières qui explosent, le nombre considéré presque sans valeur d’artistes et d’intermittents du spectacle dont la créativité, sans doute, deviendra à présent lettre morte. Leurs joyeuses envolées comiques, tragiques ou poétiques resteront à dormir dans un silence assourdissant tandis que leurs auteurs qui ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche compteront les derniers deniers restants pour remplir leur assiette du soir avant d’aller pointer au chômage. Une respiration libre et indispensable du monde s’éteint peu à peu…
 
Tout est nombre. Pas de noms, pas de prénoms, pas de visages. Pas d’histoires personnelles. Surtout pas d’histoires personnelles qui troubleraient la merveilleuse perfection du déséquilibre. Tout nombre dit tout et surtout rien. Rien de ce qui fait la vraie vie des gens dans ce qu’ils ressentent et vivent au plus profond, au plus intime, ce qu’il y a de plus fort , de plus important en eux. Les nombres ne diront jamais la peur du lendemain ou l’envie d’exister autrement, de travailler d’une autre façon, l’amour porté aux autres, la beauté d‘une nature vivante si nécessaire, la simplicité belle et sereine d’un repas partagé, les éclats de rire du bonheur d’être ensemble, les colères d’un jour et les tristesses enfouies. Les nombres serviront, comme si souvent, de justification pour des choix arbitraires qui définiront mathématiquement ceux qui dominent et ceux qui seront dominés. D’une certaine manière, le nombre, instrumentalisé de la sorte, ment et surtout supprime toute humanité.
 
 
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La privation de droits devient de plus en plus importante au fil des mois, acceptée par l’angoisse de fortes amendes et par un matraquage permanent où reviennent en boucle les mots « masque », « gestes barrières », « distanciation », « test », « malades », « virus »…
 
Mais comme les humains ont besoin d’exister en vrai, le mensonge nécessaire devient une règle pour justifier un mouvement qui ne tombe pas sous le coup des déplacements dérogatoires autorisés par la sacro-sainte attestation. Combien de personnes vont aider une grand-mère dans la nécessité ? Combien vont garder un petit-fils dont la garde ne peut pas être assurée ? Combien vont faire des courses pour plusieurs personnes qui ne peuvent se déplacer ? Certains vont même jusqu’à installer leur fils dans un studio du centre ville. Tout se combine à merveille avec des numéros à appeler si nécessaire, numéros bien sûr qui garantissent un alibi pour un périple invérifiable. La créativité bat son plein pour qu’un peu de liberté surgisse d’une prison à ciel ouvert dont les barreaux sont invisibles. Ça ressemble parfois à l’ancienne série télévisée « Le prisonnier » où les taulards n’ont pas de costume rayé. Ils sont juste devenus des numéros. Même les personnes les plus raisonnables, les plus légalistes, se laissent prendre à ce jeu subtil du mensonge dans un soupçon de rébellion à peine dissimulée. Cela devient parfois un sujet de rigolade dans les échanges téléphoniques quand chacun raconte la manière qu’il a utilisée pour rendre « légal » une sortie qui ne l’était pas. A croire que ce monde est devenu une vaste scène de théâtre où beaucoup s’improvisent acteurs sans le savoir. L’art de la scène interdit dans ses antres habituels s’est transporté sur les routes, les rues et les chemins. Les véritables acteurs d’autrefois ont disparu. Des millions d’autres apparaissent à leur tour, développant un savoir-faire remarquable pour échapper à la contravention.
 
La question ne se pose pas de savoir s’il faut le faire ou non. C’est une simple question de survie mentale, psychique, même au prix d’une renonciation à des principes auquel chacun peut croire. Il s’agit de mentir pour ne pas devenir fou, pour exister encore dans un univers qui ne reconnaît plus la valeur d’un homme, ou simplement dans des mots contredits illico par des actes contraires.
 
A cela s’ajoute la suspension des activités dites « non essentielles » tel que le conçoivent ceux qui gouvernent. Ainsi le Coca-Cola est considéré plus important qu’un livre ou que l’accès à l’art. Un grand magasin où s’entassent des centaines de gens plus essentiel qu’une boutique dans laquelle se croisent moins de cinq personnes. Une image humoristique montre bien cela. Symboliquement la bouteille de RICARD est devenue essentielle tandis qu’un livre de Matthieu RICARD comme son « plaidoyer pour le bonheur » n’est pas utile. Il serait plus prudent de se déplacer à moins d’un kilomètre de chez soi, dans les rues où tous font la même chose plutôt que de se déplacer en forêt dans des espaces où il y a beaucoup moins de monde. Toutes ces incohérences liées au confinement et à l’arrêt d‘un réel lien social, au nom d’une fonctionnalité de la gestion de la pandémie, entraînent une forme de démence où les plus fragiles ne voient plus d’autres perspectives que la mort. Le nombre de suicides augmentent, les dépressions aussi. Au final, les dommages collatéraux du coronavirus feront plus de victimes que la maladie elle-même.
 
Pascal Marchand
 
 
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17/11/2020
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