IMITATION GAME

(Le jeu de l’imitation)

Un film de Morten Tyldum

Avec

Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Mark Strong, Matthew Goode, Charles Dance, Allen Leech

“Parfois, ce sont les personnes qu’on imagine capables de rien

qui font des choses que personne n’aurait imaginées »

On pense savoir l’essentiel de ce qu’a été la Seconde Guerre Mondiale. C’est sans doute en grande partie vrai. Pourtant, année après année, on découvre ou prenons conscience de certains aspects passés presque inaperçus ou carrément totalement ignorés.

Ce fut le cas du décodage d’Enigma, le code secret allemand considéré comme indéchiffrable.

On doit ce décodage à un anglais, un mathématicien cryptanalyste, Alan Turing qui, avec son équipe d’experts, a travaillé dans les usines de radio de Bletchkey Park.

Morten Tyldum a adapté au cinéma la biographie de cet homme resté dans l’ombre des combats mais dont la découverte a permis de contrôler les messages ennemis et ainsi gagner définitivement la guerre. Ce livre est intitulé « Alan Turing ou l’énigme de l’intelligence » (« Alan Turing : Enigma » dans la version originale).

Le grand intérêt du film réside dans la superposition de différentes époques de la vie d’Alan Turing (sa  jeunesse vers l’âge de 16 ans, la période de la guerre, l’après-guerre aussi dans les années 50 et le scandale de son homosexualité). Cela permet de mieux comprendre (à l’instar du policier qui interroge Alan Turing en 1951) ce personnage imbu de sa personne, un prodige sûr de ses compétences, hautain souvent, méprisant parfois. A ce jugement hâtif et très incomplet, le film évoque la sensibilité particulière de cet homme qui se cache derrière un regard fuyant et une solitude profonde. Être homosexuel dans l’Angleterre de ces années était considéré comme  un délit qu’on soignait par des sanctions lourdes et des interdictions (professionnelles entre autres), mais aussi par la castration chimique et ses effets lourds et destructeurs.

Trouvant sa force de vie dans sa formidable capacité d’analyse et de compréhension des modèles mathématiques, il a pu se couvrir d’un masque efficace pour cacher la réalité de son être et tenter de trouver une place dans la communauté scientifique de son époque.

Le film de Morten Tyldum progresse à plusieurs niveaux comme un thriller de guerre d’abord, à savoir si les chercheurs décoderont ou non Enigma avec de multiples péripéties (on a été plusieurs fois à deux doigts d’une interruption de la recherche), aussi comme un thriller psychologique, à savoir si l’armée découvrira ou non l’homosexualité d’Alan Turing avec toutes les conséquences qui en découlent sur le travail de recherche.

La reconstitution des lieux historiques, de Londres sous les bombes, des usines de Bletchley Park, est remarquable. Les plans du ciel au niveau des avions de la Luftwaffe sont très impressionnants. Le haut niveau de qualité de la réalisation apparaît même dans les liens des gens au temps d’une Angleterre puritaine sous la pression mortifère des bombardements allemands, des luttes de pouvoir entre les chefs militaires et les dirigeants du MI6, les services secrets de renseignement britannique.

Le casting est impeccable avec en tête Benedict Cumberbatch, très crédible et très émouvant dans le rôle d'Alan Turing, Keira Knightley, tout comme l'ensemble des rôles principaux dont les membres de l'équipe de recherche sur Christopher, la machine qui va décoder Enigma. 

La realpolitik se mêle aux intrigues personnelles avec une précision chirurgicale. Rien n’a été laissé au hasard. Sur la base d’une solide documentation historique, le spectateur vit la guerre à l’image de ce qu’elle a été au Royaume-Uni, comme pour les protagonistes de cette histoire. Avec un avantage cependant : le recul historique et l’évolution des mentalités dans un début de XXIème siècle où l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie (même la Reine d’Angleterre a gracié Alan Turing à titre posthume), où certains pays comme la France ont légiféré sur le mariage pour tous (y compris donc pour les homosexuels). Et c’est cela qui émeut car la fin de vie d’Alan Turing, son exclusion de l’université quand sera découverte son homosexualité jusqu’à son suicide en 1954, bousculent le niveau de tolérance qui prend forme aujourd’hui. Malgré ses côtés insupportables, il ressort de lui une grande tendresse, notamment dans ses liens avec Joan Clarke (excellente Keira Knighley) qui aurait pu devenir sa femme et qui avait tout deviné de lui, également lors de l’interrogatoire avec le détective Nock dont le jugement sera ébranlé par l’entretien avec Alan Turing.

Le suspens ne vient pas de savoir s’ils réussiront ou non à décoder Enigma. On le sait déjà puisque les Alliés ont gagné la guerre. Il ne vient pas non plus de ce qu’on peut imaginer de la vie d’Alan Turing. On savait déjà que sa vie a été écourtée. Le spectateur reste scotché à cette évolution incertaine sur tous les plans entre un début connu et une fin connue. Il y a un côté hypnotisant et prenant à ce film comme si on découvrait étonnament des héros de la guerre restés quasi inconnus de par leur rôle dans l'ombre.

Ce qu’il reste d’Alan Turing aujourd’hui ? L’outil sur lequel est tapé cet article : l’ordinateur. Car effectivement, les recherches se sont poursuivies après guerre dans les milieux universitaires sur la base des  machines d’Alan Turing. C’est ainsi qu’à présent nous disposons chez nous de PC. Avant IBM, Apple, Google, Microsoft et tutti quanti, il y a eu cet illustre inconnu si essentiel, du nom de : Alan Turing.  

Bande-annonce de "Imitation Game"

Comment les maths ont vaincu Hitler,

le documentaire sur Alan Turing