Comprendre les migrations / Cimade / Pascal Marchand
On parle souvent d'étrangers en évoquant ceux qui viennent d'ailleurs. Pourtant, ces "étrangers" viennent de la même planète que nous.
Et, dans étranger, il y a l'adjectif "étrange". D'où la question :
qu'est-ce qu'un étranger a d'étrange ?
Certes, il a peut-être une couleur de peau un peu différente,
peut-être des yeux étirés comme une amande,
peut-être parle-t-il une langue que je ne comprends pas.
Mais s'il est étranger à mes yeux, je le suis aussi aux siens.
Pourtant, nous sommes tous humanoïdes et nos différences sont surtout notre chance à tous de voir en la vie de quoi apprendre, de quoi s'émouvoir, de quoi vivre quoi !
En plus nous nous déplaçons à travers le monde.
Les migrations ont commencé quand les hommes préhistoriques ont suivi les troupeaux pour la chasse et depuis ça ne s'est jamais arrêté.
Actuellement le mot "migration" rime avec "peur".
C'est pourquoi ce petit fascicule de la Cimade peut faire du bien.
La Cimade, association de solidarité active avec les migrants les réfugiés et les demandeurs d'asile, a en effet publié un très intéressant petit fascicule qui explique le pourquoi et le comment des migrations internationales.
Ce fascicule commence par la question "D'où viennent les migrants ?"
Ces mouvements de population concernent toutes les régions du monde.
192 millions de personnes se trouvent actuellement hors de leur pays de naissance, soit à peine 3% de la population mondiale pour un peu plus de 2% il y a quarante ans.
Les femmes représentent la moitié des migrants (49,6%).
Les migrants sont inégalement repartis dans le monde. En 2005, environ 62 millions sont allés du sud vers le nord, 61 millions vers le sud, 53 millions du nord vers le nord et 14 millions du nord vers le sud. Ainsi, 54% des migrants vivant dans les pays du nord viennent des pays du sud.
Quant aux réfugiés, ils sont 16 millions en 2007, et 80% d'entre eux vivent dans un pays voisin, et souvent au sud (1,5 million de mozambicains au Malawi, 4,5 millions d'afghans au Pakistan et en Iran). L'Europe reçoit 400 000 demandes d'asile par an qu'elle rejette souvent (80% de refus en France entre 1998 et 2005).
Les mouvements migratoires se sont internationalisés et diversifiés au tournant des années 80. L'Asie arrive en tête devant l'Afrique et les Caraïbes. Le Mexique s'impose comme le premier pays de départ (6 millions d'émigrés), suivi du Bangladesh, de l'Afghanistan et des Philippines.
Les migrants sans-papiers sont estimés à 5 millions en Europe, ce qui est relativement peu pour 500 millions d'habitants.
Les pays de départ perdent avec l'émigration une partie de leur main d'oeuvre qualifiée. Cet "exode des cerveaux" se traduit par un manque de personnel de santé et de techniciens, et par une perte du revenu national par le biais de l'impôt. Les transferts d'argent qu'effectuent les migrants sont devenus un facteur essentiel de développement des pays d'origine. D'après la Banque Mondiale, ils ont plus que doublé entre 1995 et 2006. Les migrants seraient le première source de financement extérieur des pays en développement.
Des migrations, depuis quand ?
Aucun peuple ne peut prétendre avoir toujours vécu au même endroit et les migrations internationales ont toujours été un moteur du changement essentiel, d'évolution économique, sociale et politique, que ce soit dans les sociétés de départ que dans les sociétés d'accueil. Tous les pays sont le résultat de la succession de multiples générations d'immigrés.
L'Europe est l'exemple même d'un terre d'émigration et d'immigration. Entre 1820 et 1920, 60 millions d'Européens pauvres ont émigré en Amérique. Ils sont 300 000 par an à embarquer vers le milieu du XIXème siècle et plus d'un million au tournant du siècle. Ces migrants viennent du nord de l'Europe, notamment îles britanniques puis, vers le fin du siècle, de l'Europe du Sud et de l'Est.
Après 1945, la dévastation de l'Europe par la guerre a entraîné le déplacement de un à deux millions de personnes à l'intérieur du continent. La plupart choisissent de profiter des opportunités offertes par les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, l'Argentine, qui voient là un moyen d'accroître leur population et leur main d'oeuvre afin de profiter de l'essor économique de l'après-guerre.
Ainsi, il y a 60 ans, l'Europe était le principal pôle mondial de départ.
Au XXème siècle, l'écart de niveau de vie se creuse entre tiers-monde et pays industrialisés, encourageant les départs du sud, d'autant que les pays du Nord font largement appel entre 1945 et 1973 à une main d'oeuvre immigrée pour répondre aux besoins du marché du travail en main d'oeuvre non qualifiée ou semi-qualifiée.
à partir de la récession économique de 1974 qui suit le choc pétrolier, puis ensuite dans les années 90, les Etats du Nord s'orientent vers des politiques de fermeture des frontières. Il est de plus en plus difficile d'obtenir un visa, un statut de réfugié, une carte de résident.
En même temps la plupart des pays du Nord commencent à se rendre compte qu'ils vont devoir faire face à une pénurie de main d'oeuvre du fait du ralentissement de la démographie et des demandes accrues de biens et de services. Ainsi, d'après les Nations Unies, l'Union Européenne devrait accueillir jusqu'à 1,6 millions de migrants pour pallier sa faible croissance démographique.
Pourquoi quitter son pays ?
Un grand nombre de migrants partent pour des raisons économiques, mais ce ne sont pas les plus pauvres qui partent les premiers. Il s'agit souvent d'une population plus instruite, en meilleure santé, dotée d'un minimum de ressources pour payer le voyage et les frais d'installation. Ils s'appuient sur un réseau familial ou de connaissances déjà installé à l'étranger.
Les migrants ne partent seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leur famille ou leur communauté. Ils envoient de l'argent pour améliorer les conditions de vie de ceux restés au pays. Les gouvernements des pays d'origine des migrants sont aussi intéressés par ces mouvements financiers car ils participent au développement économique de ces pays. Par exemple, d'après une étude de de la Banque Mondiale, l'argent envoyé par les Maliens de France a contribué à la construction de 60% des infrastructures du Mali.
D'autres quittent aussi leur pays pour des raisons de guerre , des conflits ethniques, religieux, pour des violations de droits de l'homme. Certains sont reconnus immédiatement comme réfugiés, les autres deviennnent des demandeurs d'asile qui 'ont pas toujours le droit de travailler. C'est pourquoi beaucoup sont obligés de travailler illégalement pour survivre.
Ceux qui sont déboutés de leur demande d'asile deviennent des sans-papiers.
On pense généralement que des régularisations massives créeraient un "appel d'air" pour d'autres candidats à l'exil. C'est oublier que la cause des migrations est avant tout la situation économique mondiale et ses conséquences dans les pays en voie de développement, et non les politiques migratoires.
Si le contexte dans lequel vivent les futurs migrants se dégrade et qu'ils n'ont aucun espoir d'améliorer leur situation, ils partiront de toute façon, au péril de leur vie s'il le faut. Et, dans un tel contexte, les politiques sécuritaires ne règlent rien, au contraire, elle ne font qu'aggraver la précarité, rendant leur intégration extrêmement difficile.
Comment voyagent les migrants ?
La plupart des migrants voyagent avec des papiers authentiques, arrivant légalement par avioon, bus train ou bateau. L'accès à l'Europe devient quasi impossible sans le recours au piston, à la corruption, aux filières. Ceux qui n'ont pas la chance d'obtenir un visa risquent alors leur vie sur des routes plus dangereuses.
Les zones frontalières se fortifient. Et depuis le 11 septembre 2001, les préoccupations sécuritaires ont accru cette volonté de contrôle.
Les conséquences en sont dramatiques. Par exemple : un migrant meurt chaque jour sur le frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. On ne compte plus les morts par noyade en Méditerranée sur les bateaux des passeurs. En octobre 2005, dix migrants ont été abattus en essayant de passer les grillages entre le Maroc et l'Espagne.
En bloquant les entrées à l'Europe par les voies habituelles (Turquie, Maroc), on ne fait que détourner le problème car ceux qui veulent venir en Europe trouvent toujours un chemin, plus long, plus dangereux, mais rien ne les arrête tant qu'ils ont l'espoir de mieux vivre que chez eux. Les migrants cherchent d'autres voies, par les Canaries pour rejoidnre l'Espagne par exemple, ou la Lybie pour rejoindre la Sicile. Le roman de Laurent Gaudé "Eldorado" évoque avec brio cette piste suivie par les migrants.
Les flux migratoires ne pourront être maitrisés qu'avec un développement économique et social dans les pays d'origine des migrations.
Quel accueil pour les migrants ?
Les politiques répressives à l'égard des migrants créent beaucoup de précarité, alors que leur travail est devenu nécessaire à l'économie européenne (services d'urgence hospitaliers, chantiers, travaux saisonniers, emplois domestiques. Les migrants sont devenus indispensables. Par exemple, l'espagne a recruté 12 000 ouvrières marocaines pour ramasser les fraises. Les candidates devaient avoir entre 18 et 40 ans, être mariées et mères de jeunes enfants, comme ça, on était sûr qu'elles retourneraient au pays après la saison.
Beaucoup de ces migrants sans-papiers sont une aubaine pour les patrons, car c'est une main d'oeuvre corvéable, moins coûteuse et moins revendicative.
Et pour ce qui de la Convention Internationale sur les Droits des Travailleurs Migrants et de leur Famille, considérée comme un texte majeur, au 1er janvier 2008, elle n'a été ratifiée que par un quart des membres des Nations Unies, en grande partie des pays de départ.
Le Parlement Européen a adopté en juin 2008 la "directive retour" qui prévoit que les étrangers sans papiers peuvent être enfermés jusqu'à 18 mois dans un centre de rétention, y compris des enfants. Cette généralisation de l'enfermement porte atteinte aux droits des personnes. Cela alimente des réactions xénophobes pour des migrants devenus boucs-émissaires et premières victimes des difficultés économiques et sociales des pays du Nord.
Pourtant les migrants offrent des ponts entre les sociétés et les cultures, des opportunités d'échange et d'enrichissement mutuel.
Les politiques répressives provoquent même l'effet inverse à celui escompté : en effet, en gênant la mobilité des étrangers, elles les dissuadent de retourner chez eux par crainte de perdre leurs droits.
Lien vers l'article : Frontières / Cimade / Pascal Marchand
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