Le Fils / Michel Rostain
Le Fils
de Michel Rostain
Editions Oh (2011)
175 pages
Voici un très grand livre basé sur un récit véridique de la mort subite du fils unique de la famille (méningite fulgurante), à l'âge de 21 ans.
La douleur profonde a fait son chemin de longues années avant qu'un ami, ayant connu le même drame, dise au couple de parents "Je peux vous dire qu'on peut vivre avec ça."
Michel Rostain a alors écrit un récit original et décalé où c'est le fils mort qui raconte la douleur des parents. Avec brio et un humoir parfois sombre ou carrément noir, il relate les étapes par lesquelles sont passés les parents. Avec beaucoup de tendresse et d'amour aussi. Cela donne autant le sourire et le rire que les larmes. C'est puissant et envoûtant. Et tout cela ramène à notre propre vie, à nos expériences de la mort, de nos silences et de ce que nous n'avons pas pu dire.
C'est aussi une fantastique réfléxion sur la création artistique, sur le plein et le vide, sur le mouvement. C'est beau et c'est complètement humain.
Un des plus beaux livres de cette année.
une chose semble prégnante aussi, c’est le poids du silence dans les relations humaines. Et c’est souvent la mort, la séparation, la douleur qui ramènent les questions et l’expression des sentiments. Dans nos modes de vie ultra accélérés, nous laissons de côté un bon nombre d’aspects essentiels de la relation humaine. Il nous faut des « accidents de la vie » pour oser exprimer ce qu’il y a en nous. Le temps se compte mais ne s’apprécie pas vraiment comme il se doit, en le posant avec des mots et du temps. En marchant ou en s’asseyant, mais pas en courant. En ouvrant les yeux sur ce qui nous entoure, en nous nourrissant des richesses de ce monde, mais pas en s’isolant par peur de ce que nous ne savons pas.
Détails de gestes, de paroles courtes, de présence et d’attention auxquelles d’habitude on ne fait pas attention, comme s’il fallait des circonstances exceptionnelles pour exprimer ce qui devrait faire partie de l’ordinaire du lien. Très beau. Très puissant. Très émouvant. Une vraie leçon de vie en mots simples pour des idées simples mais qu’on a égarées à force de fonctionnalité. Une écriture ciselée, directe et aux images décalées pleines d’un humour acide et cru. On éclate de rire souvent.
De l'émotion très forte aussi comme lors du récit de la cérémonie funéraire entre profane et sacré. Les moments forts et les hésitations, les mots qui n’arrivent pas à sortir. Et puis des images brutales comme le souvenir des derniers moments avec le fils quelques jours avant sa mort. Stupeur.
Aussi les retrouvailles. Le pardon. Pas celui édicté par Dieu, mais celui d’entre les hommes quand on prend chacun pour tout ce qu’il est, y compris ce qui a pu agacer. Chacun dans son entier comme l’ami Pierre avec qui le fils se camait. C’est beau, simple et tendre. Très fort.
Puis inévitablement quelques brins d’humour qui surgissent d’une façon saugrenue comme cette remarque page 114 : « Question pour les familiers des cimetières : pourquoi si peu de christs ont-ils la tête penchée à gauche ? ». Ça s’arrête là. Le récit reprend. Mais cette ponctuation rappelle le caractère décalée de l’histoire du fils. Il est aussi question du silence. L’autre silence. Page 107. « De longs silences aussi, sans la peur du vide. Le silence ça peut être de la musique. » Magnifique.
Changement de décor dans un autre chapitre. Ce n’est plus un récit avec sa chronologie. Ce ne sont que bribes et séquences de vie comme un puzzle un peu désordonné, aux pièces éparpillées. Ça ressemble à un jeu où il faut deviner le vrai du faux, le rêvé du réel. L’existence n’a plus de suite logique. Une reconstruction aléatoire au gré du ressenti des choses. Une sorte de présent immédiat où tout se vit dans l’urgence, où le rêve peut aussi s’appeler espoir même en côtoyant la mort.
Il y a aussi cette présence étrange de Dieu, même si le papa dit ne pas y croire. Dieu est présent partout, même dans sa dénonciation. « Le dernier mot sur scène de Madame Lagadec au Dieu qui vient de lui prendre sa petite fille : Connard ! ». Ils le Lui redisent souvent. »
Quant au final, c'est sublime, magique, surprenant, captivant. Et puis cette comparaison avec la grâce de la création artistique. Même dans le vide, on peut sentir que la lumière viendra. L’idée. Le mot qui réveillera l’écriture. La note qui réveillera la musique. La couleur qui réveillera le tableau. La vie dans l’ombre de la mort. C’est splendide. La simplicité même devient sublime par « le hasard des mille beautés entrevues au milieu de notre chaos ».
C’est un livre qui remue beaucoup de choses, bien au-delà de la simple idée de la mort. Il y a comme un grand remue-ménage des sentiments. Il en ressort une forme d'urgence à vivre vraiment, sans hésitation. Il revient en tête cette phrase tirée d'un autre livre : "Se donner tout entier sur terre pour que la mort n'ait plus rien à prendre."
Michel Rostain
Extraits
Page 14 : ... solitude. C'est là que commence réellement la mort.
Page 25 : "Dieu soudain t'as vu, il t'a aimé et il t'a dit : Viens !" Cet ordre pédophile monstrueux d'égoïsme le rend furieux. "Viens ! Quitte la vie pour moi !" Le Dieu des Chrétiens est décidément un vrai salaud.
Page 28 : Pat Metheny... la musique suffit pour faire des câlins.
Page 59 : La mort est une machine à regret.
Page 62 : Le vrai présent c'est d'être là, un point c'est tout.
Page 74 : Papa jette un coup d'oeil vers la cheminée qui surplombe le crématorium ; ni fumée grasse, ni odeur, ce n'est pas Auchswitz.
Page 91 : Et comme après "Rien" vient "Jamais", ils ont la pathos aux lèvres.
Page 117 : Cela signifie-t-il que lorsque je pense à un manque, je dois l'appeler présence ?
Page 121 : Attention danger, les mots de la mort sont peut-être contagieux.
Page 124 : Les larmes et le deuil interdisent peut-être la fiction. Papa ne peut lire de roman en ce moment.
Page 147 : Tous les parents aiment que leur enfant soit exceptionnel.
Page 156 : Comprendre c'est déjà s'éloigner.
Page 171 : Un fils insolent à ce point, c'est du gâteau pour raconter une histoire.
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