THEATRE DU PUZZLE

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Livre - "L'histoire de Chicago May" - Nuala O'Faolain (2006)

« L’histoire de Chicago May »

Titre original « The story of Chicago May »

Nuala O’Faolain

Traduit de l’anglais par Vitalie Lemerre

Editions  10-18, domaine étranger

Edition originale parue chez Sabine Wespieser

2006, 390 pages

 

 

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C’est par hasard que j’ai trouvé cet ouvrage, en fouinant dans une boîte à livres de village. Un bouquin de poche perdu au milieu de dizaines d’autres à l’allure peu reluisante, de magazines qui semblaient  finir leur vie ici, comme dans une maison de retraite pour publications sans avenir.

 

C’est d’abord le titre qui m’a frappé, « L’histoire de Chicago May ». Ça sonnait comme un des épisodes de la célèbre série télévisée des Incorruptibles dans les années 70 avec Robert Stack dans le rôle d’Eliott Ness, « L’histoire de Maggie Storm », « L’histoire de Ginnie Littlesmith », « L’histoire de Nero Rankin », « L’histoire de Lily Dallas », des histoires de gangsters qui se passent principalement à Chicago et ses environs, des destinées dont on sait qu’elles finiront toutes dans la brutalité et la violence d’un monde sans beaucoup d’espoirs, dans une mort sans gloire pour tous ces pauvres hères issus des quartiers populaires. Ils deviennent un jour des rois, le temps d’une reconnaissance éphémère dans un monde de peur, de jalousie, de petits et grands pouvoirs qui se retournent comme des crêpes au gré des alliances, des circonstances et des retournements de vestes. Je pensais à tout cela en découvrant la couverture de ce livre. Ce n’était pas vraiment de ça qu’il s’agissait finalement, pourtant ça en était très proche.

 

 

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Les irlandais et les italiens, à tort ou à raison, peuplent les récits de gangstérisme dans l’Amérique du XXème siècle. Quitter la vieille Europe et sa misère pour faire fortune en Amérique, aussi pour se sentir libre, pouvoir espérer, du moins davantage que dans les contrées d’origine où sévissaient la misère et la déconsidération de l’être humain. Chicago May, alias May Duignan, n’échappe pas à la règle. La jeune femme d’Edenmore en Irlande a construit sa vie sur une fuite de la misère, un refus de sa condition humaine d'alors. Après avoir volé les économies de ses parents, elle s’est embarquée  vers les Etats-Unis, jouant de ses charmes et sa frimousse, de son intrépidité, pour récupérer l’argent, là où il se trouve. Elle deviendra tour à tour prostituée, arnaqueuse, danseuse de revue, braqueuse de banque. Toute son existence sera marquée par la précarité et l’incertitude, la richesse d’un temps et la pauvreté toujours récurrente. Elle ne renoncera jamais face aux évènements qui se présenteront à elle, face aux gens redoutables qu’elle rencontrera. Jusqu’au bout, elle gardera sa fierté de femme.

 

 

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Chicago May, alias May Duignan, archives de la police

 

 

C’est ce destin étonnant que nous raconte Nuala O’Faolain dans ce livre touchant, émouvant, sans doute parce que l’autrice, irlandaise comme May Duignan, a connu dans sa jeunesse des conditions familiales qui ont des points communs. L’histoire de Chicago May fait écho à sa propre histoire. Quand Nuala O’Faolain part en quête de son héroïne, en fait elle part en quête d’elle-même, à chercher des réponses, non seulement sur ce destin fascinant d’une femme au début du XXème siècle à Chicago, mais surtout sur ce qu’a été sa propre famille. Elle questionne la condition féminine dans l'Irlande de cette époque, aussi par conséquence, celle de l'homme dans le conditionnement religieux, fait de morale et de jugement. 

 

 

 

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Chicago dans les années 1900

 

 

 

Nuala O’Faolain n’écrit pas une simple biographie comme beaucoup d’autres sur tel ou tel personnage. Elle s’implique elle-même dans l’histoire, entraînant le lecteur à questionner la sienne. Ce livre apparaît comme une boîte de pandore. C’est sans doute ce qui le rend hypnotisant, encore plus parce que Chicago May nous tire vers ces endroits déconcertants sans jamais faire machine arrière. Une forme de destruction, diraient certains, aussi une volonté et une espérance, tant que la vie la tient encore debout.

 

 

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Chicago dans les années 1900

 

 

 

 

Le récit interpersonnel  est soutenu par la grande histoire de l’Irlande dans son rapport douloureux à l’Angleterre, dans son lien salvateur aux USA par l’émigration, une histoire avec ses héros et surtout ses héroïnes, révolté(e)s ou révolutionnaires, avec les grandes dates qui ont marqué ces pays. Chicago May a traversé ce siècle, l’a vécu à sa façon, très égocentrée,  sans pourtant être passée à côté de tout cela.

Rien d’étonnant à ce que cet ouvrage ait reçu le prix Fémina en 2006. La quête de Chicago May d’Irlande aux Etats-Unis, en passant par Londres et Paris tient en haleine de bout en bout, entre chronique judiciaire, thriller, roman d’aventure, roman d’amour. On imaginerait presque que Nuala O’Faolain dans le XXIème siècle naissant aurait pu croiser la Chicago May du début du XXème.

 

Une belle découverte  et un grand merci à celle ou celui qui a laissé ce bouquin dans la boîte à livres.

 

Pascal Marchand

 

 

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Nuala O'Faolain

 

 

Extraits

 

Page 172

Mais quelle liberté avait-elle ? Les libertés actuelles acquises par les femmes quand elles sont jeunes, qu’elles ont de l’argent et qu’elles ne sont pas encore mêlées aux rôles traditionnels des femmes sont superficielles et temporaires. En réalité, ce qu’elles feront est circonscrit par ce que d’autres, et elles mêmes, pensent qu’elles devraient faire.

 

Page 183

L’amour, ce n’est pas seulement aimer, mais être aimé- La connaissance que les autres ont de vous est une partie d’eux-mêmes.

 

Page 244

Si la tension n’allait pas jusqu’à l’explosion en Irlande, c’était grâce à la soupape de sécurité que représentait l’émigration.

 

Page 251

Les accès de colère maintiennent l’esprit vif, mais la colère ne peut accélérer le passage du temps.

 

Page 298

Dans une relation violente, une extraordinaire intimité se crée dans un couple, précisément parce que les deux connaissent le pire d’eux-mêmes. Ils sont abandonnés à la vulnérabilité.

 

Page 330

Ce que j’y ai appris, c’est qu’un nouveau départ est la chose la plus difficile à réaliser.

 

 

 

 

Diaporama Chicago May  et la ville de Chicago au début du XXème siècle

 



13/06/2023
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