Livre / "La plume de l'Aigle, de Frédéric de Châteauvieux à Daniel de Roulet" d'Annie Abriel
LA PLUME DE L’AIGLE
de Frédéric de Châteauvieux à Daniel de Roulet
d’Annie Abriel
Editions Cabédita – 2017 – 122 pages
Ce livre m’a d’abord piqué au vif par son sous-titre :
« De Frédéric de Châteauvieux à DANIEL DE ROULET ».
Daniel de Roulet, un écrivain suisse dont je suis le voisin, des dizaines de bouquins, une œuvre conséquente de routard du monde à la recherche de ces vies diverses qui font l’humanité, aussi une saga sur l’univers du nucléaire, d’Hiroshima à Fukushima, en forme d’interrogation sur le monde de demain, sur l’avenir de la planète, entre autres, un formidable « Fusions », à la fois tour londonienne où se décide le futur de multinationales de l’atome et terme du vocabulaire de ce domaine technologique : « Fusions » et fission nucléaire. Surtout il y est question des humains qui gravitent en ce lieu et ailleurs, ballottés dans ce mouvement de concentration de sociétés qui cherchent le profit avant tout. Une femme japonaise hantée par Hiroshima, d’autres personnages qui se questionnent sur leur avenir, une humanité prise au piège d’un engrenage dont ils sont à la fois les acteurs et les dindons de la farce.
Le livre d’Annie Abriel se révèle aussi un piège à sa façon. Entré par la petite porte, je me retrouve dans une boîte de Pandore où la petite histoire d’un homme (même si ce qu’il raconte est immensément grand) se confronte à plus de deux siècles d’une histoire collective de l’Europe Occidentale, de la Révolution Française jusqu’à nos jours.
Il s’agit en fait d’une enquête qui prend pour base un manuscrit, un faux témoignage de Napoléon Bonaparte, « Manuscrit venu de Sainte-Hélène d’une manière inconnue, 1817, London, John Murray Albermale Street, 1817 ».
Il s’agirait d’un texte à priori écrit par Napoléon depuis qu’il est détenu à l’autre bout du monde. Ce document est immédiatement interdit par la police de Louis XVIII mais il circule pourtant dans toute l’Europe. Il s’avèrera que l’auteur en est Frédéric de Châteauvieux, fils du marquis de Châteauvieux, colonel-propriétaire d’un régiment d’infanterie suisse, l’aïeul de Daniel de Roulet.
Voilà, la filiation a commencé ! Le piège s’est refermé.
Pas moyen d’en sortir. Il suffit alors de suivre les pas d’Annie Abriel, Charlie (pas celui qu’il faut chercher) et Daniel de Roulet dans le pays genevois sur les traces des ancêtres. Par ce livre, nous en devenons en quelque sorte des compagnons de route. Peu à peu cette grande épopée prend son sens comme un puzzle dont on récupère peu à peu les pièces manquantes. On avait atterri en France à la fin du XVIIIème siècle pour se retrouver en Suisse à la fin du XXème devant un chalet en miettes après un incendie criminel, la propriété de vacances d’Axel Springer, magnat de la presse allemande, patron de Die Welt et Bild Zeitung, grand pourfendeur de la Fraction Armée Rouge, connu sous le nom de bande à Baader. Puis le temps se prolonge jusqu’aux années 2015.
Le chalet de Rodomont appartenant à Axel Springer sur les hauteurs de Gstaad (Suisse)
Les deux personnages centraux du récit, outre leur filiation, ont en commun, un secret qu'ils ne diront pas tout de suite mais que le temps permettra de faire sortir au grand jour. Rien de prémédité là-dedans, simplement des circonstances qui font qu'un aveu est possible. Etonnante similitude que leurs deux existences à deux cents ans d'intervalle...
L’écriture d’Annie Abriel, riche, vivante, alerte, très documentée, entraîne le lecteur dans cette quête étonnante où les deux hommes deviennent les clés de compréhension d’une histoire qui dépasse leurs seules existences. C’est un livre captivant qui redonne le goût de l’histoire, l’envie de savoir, la passion de comprendre ce qui unit le passé, le présent et le futur.
Ce piège littéraire rappelle un autre roman haletant dont le personnage central est aussi un manuscrit, "La plus secrète mémoire des hommes " de Mohamed Mbougar Sarr, paru en 2021 et qui fut nommé prix Goncourt de cette année-là. Le manuscrit dont il est question dans l'ouvrage est adulé ou considéré comme un plagiat. Il devient alors le point de départ d'une quête initiatique des jeunes écrivains africains en recherche d'identité littéraire dans l'Europe d'aujourd'hui. On parcourt un siècle d'histoire de la guerre de 14-18 jusqu'au XXIème siècle, un voyage sur plusieurs continents en restant scotché au destin d'un homme et de son oeuvre unique.
La grande histoire prend tout son sens lorsqu'elle se retrouve au centre de destins d'humains, tel un écho de fractals entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, un reflet en miniature des grands mouvements du monde, voire de l'univers, avec sa puissance créatrice, ses failles et ses douleurs, la violence et la mort ultime, la destruction, les interrogations dans lequel chaque réponse amène à de nouvelles questions. Le doute face la complexité inhérente à toute vie.
"La plume de l'Aigle", un livre et un univers à découvrir...
Château de Choully (Suisse)
Extraits
Page 35
Les ONG profitent de l'hospitalité helvète. L'entrée de toutes ces élégantes maisons donne côté parc ; à travers le hall on voit le lac, une respiration bleutée. Nous apercevons les salles de réunion vides, des bureaux. On y travaille à la paix entre les peuples, à la solidarité, au dialogue international, au multiculturalisme, à l'émancipation féminine, à la protection des enfants, au développement durable. Vu du Léman, le monde est prête au dialogue. Des milliers de fonctionnaires y travaillent. Le résultat n'est pas probant, mais ce serait peut-être pire si ces pare-feu n'existaient pas. Comme les crèmes de beauté, on les tartine au cas où.
Page 65
(...) Romain Rolland : "Je me demande pas à l'homme la perfection. Chacun a son vice (bien heureux s'il n'en a qu'un !) : cuidité, libertinage, envie, orgueil, égoïsme. C'est beaucoup quand une de ces bêtes (que nous sommes) est illuminée par un éclair d'idéal."
Page 104
Voyager pour se perdre, changer le dialogue intérieur, incruster d'autres sons.
Page 104
Le voyageur ordinaire qui écrit veut d'abord garder la trace pour lui. Journal de bord. L'écrivain qui voyage traduit ce qu'il voit dans son langage et demeure présent à chaque page. C'est ce qui en fait le prix.
Page 111
C'est quoi être chez soi, le parfum du pays de l'enfance ? Nostalgie obligée. On s'éloigne et c'est reposant de respirer d'autres senteurs qui libèrent la trace du temps.
Page 114
Daniel de Roulet (...) L'écrivain de l'attachement, celui qui peut vivre en paix avec les origines parce qu'il fait souffler la mondialité.
P.M.
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