THEATRE DU PUZZLE

THEATRE DU PUZZLE

Livre / "La forêt des renards pendus" de Arti Paasilinna

 

LA FORÊT DES RENARDS PENDUS

de Arto Paasilinna

Editions Denoël  / 1983

 (1994 pour la traduction française)

réédité en 2005

titre original : "Hirtettyjen Kettujen Metsä"

traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

262 pages

 

 

Ce livre est une merveille et fait partie de ces ouvrages qui restent longtemps dans la tête, comme un voyage indélébile, gravé ou tatoué dans l'esprit.

 

Nous plongeons là dans "l'hiver" lapon et "son écrin de toundra enneigée" pour un "spectacle d'une prodigieuse et surnaturelle beauté", une "extraordinaire magie de l'Eldorado lapon".

C'est le décor grandiose d'une tragicomédie qui mêlerait le "Fargo" des frères Coen, un road-movie de loosers et le "Down by law" de Jim Jarmusch, version Grand Nord finlandais.

 

Un gangster, Rafael Juntunen, qui est sorti de prison et qui a  ensuite profité pleinement de la vie, fuit la grande ville avec les lingots d'or qu'il avait cachés avant son emprisonnement pour ne pas avoir à les partager avec ses complices qui sortent eux-aussi peu de temps après de leur geôle.

Finalement, dans sa fuite, il va finir par se retrouver dans la solitude  de la forêt de Laponie en compagnie de Gabriel Amadeus Remes, un ex-major de l'armée viré pour alcoolisme aggravé.

Peu après, ils seront rejoints par Naska une vieille laponne skolte qui a réussi à échapper à la maison de retraite. La forêt de Laponie deviendra leur antre protecteur.  

 

 

Le trio va alors tenter de résister à la "civilisation" et ses représentants : les anciens complices de Rafael qui veulent récupérer leurs lingots d'or, les policiers, les services sociaux ou les soldats, bref ceux qui font la loi ou qui sont les hors-la-loi. La notion de bien et de mal est implicitement redéfinie, sans qu'on sache vraiment où est le bien, où est le mal. En fait, cela n'a plus d'importance dans ce décor splendide où la loi dominante est avant tout celle de la nature avant celle des hommes.

Ces lois humaines semblent dérisoires au regard de cette immensité dont Naska, la vieille femme skolte, détient une forme de sagesse virevoltante et enfantine, entre délire fou et connaissance suprême, une présence presque divine et jubilatoire face aux deux hommes que la vie a déglingués.

C'est une aventure aussi visuelle qu'un film en cinémascope ou sur écran géant.

 

Par-delà l'aventure humaine, l'humour déborde à chaque page dans cette relation duelle puis triangulaire alors qu'on sent les menaces de plus en plus pressantes du monde civilisé, comme des sous-entendus permanents ou des annonces anodines qui, liées entre elles, tissent une toile indiquant qu'on n'échappe pas au monde dans lequel on vit.

Pourtant, quelque chose d'impalpable semble protéger nos trois larrons. A se poser la question de savoir si cela va durer ou non.

 

 

Arto Paasilinna fait vivre les personnages avec beaucoup de tendresse et d'amour pour eux, des personnages à l'histoire tordue et même parfois dramatique, prise dans les échos de la Grande Histoire du Monde, comme la Seconde Guerre Mondiale en Scandinavie, des vies dramatiques sans jamais qu'on ne sente le moindre mélodrame tant le présent immédiat et hors du temps donne un rythme fou à cette aventure.

 

Cela donne furieusement envie d'aller fouler ces forêts oubliées du monde et peuplées d'une faune souvent sympathique comme ce renard surnommé "Cinq-Cents-Balles".

 

Ce livre est un joyau de littérature.

 

Arto Paasilinna est aussi l'auteur de romans à succès traduits en français "Un homme heureux" et "Le lièvre de Vatanen"

 

 

 Extraits

 

Page 12

Rafael Juntunen, en bon gangster, appréciait l'honnêteté à sa juste valeur.

 

Page 26

A jeun, ils portaient aux nues la vie libre des Amériques mais, une fois ivres, ils se plaignaient, les larmes aux yeux, d'avoir le mal du pays.

 

Page 28

- Il y a quand même de belles femmes, fit valoir Rafael Juntunen.

- Des nids à herpès, oui.

 

Page 46

Le major Remes faisait la sieste sous sa tente, dégustant son eau-de-vie. On ne fait pas la guerre la tête claire, philosophait-il.

 

Page 115

Si les criminels ne se retrouvaient pas de temps à autre en cellule, ce serait un métier de rêve.

 

Page 115

Cohabiter avec des meurtriers est d'un ennui mortel. je n'ai jamais rencontré d'assassin joyeux. Ivre, même un tueur peut être agréable, mais en prison ils sont à jeun. Ils ne sont d'aucune compagnie.

 

Page 182

... la douche est plus économique.

- La baignoire est un signe extérieur de richesse, grogna le major. Ce sont les pauvres qui se lavent sous la pluie. Et les bêtes des bois."

 

Page 186

On aurait dit un Père Noël, avec sa baignoire pleine à ras bord. Si ce n'est que les pères Noël ont rarement une gueule de bois aussi sévère.

 

Page 204

Il(...) payait de temps à autre par des séjours en prison le prix de sa conception toute personnelle de la légalité.

 

Page 206

Le ciel de Laponie voit tout mais ne rapporte pas (...)  Le seigneur vous éprouve, mais ne vous abandonne pas.

 

Page 238

Le Seigneur donne, le Seigneur reprend. Que le Seigneur soit remercié. C'était dur à avaler.

 

Page 261

Cinq-cents-balles, le souriant renard à demi apprivoisé, a engendré une dizaine de descendants. Soit Cinq-mille-balles.

 

 

 

 



20/08/2012
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