Livre / "La grande peur dans la montagne" de Charles-Ferdinand Ramuz
LA GRANDE PEUR DANS LA MONTAGNE
Charles-Ferdinand Ramuz
Editions Grasset – Collection Les Cahiers Rouges – 204 pages
1ère édition 1926
Charles-Ferdinand Ramuz, suisse vaudois de naissance, né en Lausanne en 1878, fait partie des auteurs référence en Suisse. Ses œuvres sont étudiées dans les écoles helvétiques. A défaut du prix Goncourt pour lequel il fut nominé en 1907 pour son roman « Les circonstances de la vie », il obtient le grand prix de la fondation Schiller en 1936 (prix qui récompense des auteurs suisses).
« La Grande Peur dans le montagne », elle, est une œuvre parue en 1926. C’est l’histoire d’un village situé en aval du Sasseneire, le «Rocher Noir », sommet du Valais qui culmine à plus de 3200 mètres d’altitude. Dans ce village, il ne reste plus assez de prairies herbeuses pour nourrir les vaches, aussi faut-il les emmener dans les pâturages d’altitude au pied de ce sommet où un drame s’y est déroulé vingt ans plus tôt. On raconte que c’est la Montagne qui a fait en sorte que personne ne vienne plus y poser ses pas, ni le bétail, ni les hommes. Les habitants de cette petite localité pauvre se déchirent, les uns, les plus anciens, ne voulant pas ressusciter un malheur qui s’était alors abattu sur la commune. Les plus jeunes pensent que c’est de l’intérêt et de la survie du village, les bêtes étant leurs seules ressources de vie.
A partir de ce point de départ, commence une histoire, telle une légende où la montagne devient un personnage avec ses couleurs changeantes, ses bruits étranges et terrifiants. C’est un engrenage infernal où on devine que cette montée vers l’alpage aura de lourdes conséquences. Autant pour ceux qui montent que pour ceux qui sont restés au village. Sans le dire, sans chercher de lourdeur, Ramuz nous entraîne dans un récit qui frise le fantastique avec son langage de conteur villageois dont les formules se répètent avec insistance, comme s’il était là devant à nous raconter cette histoire. Le narrateur parle de la population autant à la troisième personne qu’avec des « nous » ou des « Vous » incluant le lecteur, donnant une puissance attractive encore plus forte. Nous, lecteurs, nous devenons des personnages de cette histoire. Nous ne pouvons pas échapper au drame qui se joue. La peur est omniprésente, les superstitions aussi.
Peu à peu, c’est à se demander si ces superstitions ne sont que les conséquences d’une fuite en avant des personnages sans beaucoup d’espoir qui, par leurs actes, provoquent les évènements qui se jouent devant eux. Le décor angoissant, ici, est la montagne, comme le fleuve Congo l’est dans le roman « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad (1899) qui a inspiré le film « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola.
(voir article, lien direct :
Livre / " Au cœur des ténèbres " de Joseph Conrad (1899) - Edition de 1996)
Le Sasseneire
On sait qu’on ne s’en sortira pas. La seule question qui reste, c’est : comment cela va-t-il finir ? Comment cela peut-il finir ? Si cela se termine un jour…
Entrez dans ce monde de Charles-Ferdinand Ramuz, là où la nature est toujours plus puissante que les humains qui la défie.
Le Sasseneire
Extraits
Page 52
Là, il l'a vue pour l dernière fois; là, pour la dernière fois, elle s'était retournée ; après quoi, on n'az plus vu que la moitié d'en haut de son corps, puis ses épaules seulement ; puis, seulement son bras et sa tête, avec une main qu'elle lève encore.
Page 100
(...) Parce qu'un malheur ne vient jamais qu'un autre ne vienne ; les malheurs se marient entre eux, ils font des enfants, comme dans le Livre (...)
Page 153
Le ciel comme un plafond de chambre, un ciel passé au blanc de chaux.
Page 160
Joseph voyait que tout était comme toujours et en même temps le coeur lui tape contre les côtes.
Page 172
Il y avait dessous l'odeur de la mort qui venait ; il y avait dessous le meuglement des bête. Celles qui restaient encore debout, qui se tournaient alors vers vous, vous ayant vu, puis venaient ; celles qui ne pouvaient plus venir étant couchés sur le flanc, la langue sortie (...)
Page 173
"Il ne me peut quand même rien, à moi," pensait-il, ce qui l'amusait, se tenant immobile comme pour Lui bien montrer qu'il n'avait pas peur de Lui, l'Autre, le Méchant, vous savez. (...)
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