LES YEUX DE L'ART / Pascal Marchand
LES YEUX DE L’ART
Semur-en-Auxois, revue et corrigée
Que ça fait du bien quand les yeux de l’art et des artistes se penchent sur ce monde !
Pourtant l’art n’a rien de fonctionnel, et heureusement, il n’est pas fonctionnel. Il se penche sur l’humanité et sa Terre en s’attardant sur les bords de chemin, sur les taillis sauvages, sur les marges qui parlent autant de la route que si on se trouvait en son milieu balisé. Car la route balisée n’a de sens que parce qu’elle est signifiée par ses bordures qui ouvrent sur d’autres paysages, sur les possibles que la raison ignore, sur les espoirs qu’on exclut par ignorance.
Et l’art combat l’ignorance par le ressenti à fleur de peau, en battements de cœur et en émotion.
L’art est un vagabond qui traîne sur les bas-côtés, qui s’émerveille des lumières et des ombres, qui vit de plongée et de contre-plongée, de vagues et d’ondulé contre l’horizontalité des regards bardés d’œillères.
L’art ignore la peur, ou la vainc en l’utilisant comme une énergie créative.
La peur, la faim, la douleur deviennent colère et combat, mouvement et création.
L’art naît de l’esprit libre. Il ne peut être détruit. Car s’il meurt quelque part, il renaît ailleurs chez quelqu’un d’autre. Un relais dans le temps et l’espace, du passé au futur, d’un continent à l’autre. Il suffit d’un seul humain vivant pour reprendre le flambeau. L’art ignore les frontières. Son univers est aussi grand que l’humanité entière, même au-delà.
Il est né avec le premier homme et se terminera avec le dernier vivant.
L’amour, la fraternité, les mains tendues sont des mots de son univers, sans exclusive, sans compétition, sans concurrence, hors des carcans de religiosité, hors des valeurs comptables de mécène. Il suffit de saisir ses propos, sa réactivité, ses élans.
"Docteur Folamour" de Stanley Kubrick, «Hiroshima mon amour» de Alain Resnais, «Godzilla» (le 1er opus japonais), chacun à leur façon, disaient déjà l’enfer et la folie nucléaire longtemps avant Tchernobyl et Fukushima. Et quand les drames se sont réellement produits, les images de l’art ont refait surface pour mieux parler du réel, comme une mémoire déjà présente de ce qui n'était pas encore, mais qu'on savait pourtant possible, peut-être inéluctable.
L’art parle d'ailleurs souvent avant le constat du réel. Une proclamation de ce qui est heureux, ou peut l'être, ou bien encore une prise de conscience de ce qui menace, de ce qui condamne.
Les écrivains et les poètes promènent leurs chants de mots en prose ou en vers dans les prairies des âmes vagabondes, dans le creuset des douleurs oubliées, dans les chroniques de vie qui ne sont plus d'actualité, dans les songes d'une vie meilleure à laquelle chacun en ce monde aspire.
Comédies et tragédies de fiction évoquent l’humanité dans ses grandes épopées ou ses petites histoires qui font la grande mémoire du monde.
Le théâtre, comme celui de Bertolt Brecht, amène le spectateur à avoir un regard critique. Il suscite la réflexion et le jugement plus que l'identification, que ce soit par le rire ou les larmes.
Les scénarii hollywoodiens des films catastrophes pensaient déjà le 11 septembre bien longtemps avant le 11 septembre. Entre une tour infernale en feu et un requin tueur sur les côtes américaines du Pacifique, émerge le même personnage d'une société qui détruit, dans un spectacle où l'on ne voit d'abord que les trucages les plus performants.
Les comédies sociales britanniques font rire autant qu’elles émeuvent de ces petites vies presque sans importance qui disent que les « héros » sont des gens ordinaires avec des besoins presque ordinaires dans une situation placée sur le terrain artistique de l’extraordinaire.
Le commun devient singulier, l’anodin devient essentiel et dans les yeux de ces gens de passage, inspirés des artistes, surgit le rêve, l’envie d’aller plus loin, alors que la normalité de l’existence mise en tiroirs voudrait les en limiter.
Et ces gens de passage, êtres de fiction ne sont que des semblables, presque clones, à ces vraies personnes dans la vraie vie qui disent et qu'on n'entend pas. L'art cinématographique leur donnne la parole à haute voix.
Les œuvres picturales ou sculptées nous entraînent dans le mouvement des couleurs, dans les champs en relief de premier plan en arrière-plan, vers ces contrées que chacun s’invente.
La musique et la danse nous offrent les tourbillons de vie qui nous sortent de l’immobilité qu’on nous impose malgré la façade des belles idées vidées de leur sens.
Les photographes posent leur caméra sur des instants de lumière inattendue, sur des portions de paysages qu'on n'avait pas vues, sur des cadrages décalés qui disent le monde autrement, sur des scènes de vie qui émerveillent, interrogent ou bouleversent.
L’art donne de la profondeur au regard. Il fait voir l’invisible, il fait vibrer le moindre frisson, le plus petit souffle de vent et de couleur.
La vie sans l’art, c’est comme un océan sans houle et sans écume.
Pascal Marchand
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